Re : Emmanuel Macron Président de la République
Reply #53 –
On passera sur la qualité syntaxique et grammaticale de la phrase pour attaquer la crédibilité de ton opinion... On va le faire plutôt à l'argument.
L'enseignement du regard critique est un éducation conjointe. Je ne narre pas mes mésaventures à ce sujet, mais je l'expérimente cette année puisque j'ai pris l'envie de, justement, intervenir en CM2 pour faire de l'éducation aux media et à l'information. Je vous garantis que c'est pas jouasse. Donc bon, même avec la meilleure volonté du monde, si Pepito rentre chez lui pour demeurer en vase clos sans remédiation parentale, ou va entendre parler de nanardises par ses parents, ou va rester quatre heures sur la tablette (repas compris), ou va utiliser le web sans aucune surveillance, ou va se taper une trilogie royale "les anges, la maison des cœurs brisés, les marseillais... j'en passe..." sous un air de Jul'. L'école va avoir du mal à faire passer son message "distinguer implicite/explicite, information/rumeur, décrire/expliquer/critiquer". Moi, ça ne marche pas en tous cas. Ils ne savent même pas distinguer un document d'une consigne, une source d'un texte, un verbe d'un nom. Alors comprendre qu'une publicité propose un message, tente d'en faire une information qui n'en est pas forcément une ! Oulà ! Arriver à faire comprendre que Athéna n'a pas réellement existé, que ce sont des légendes. Que non, je ne suis pas le pote de Périclès, que je n'ai pas non plus connu Hitler ou Blum personnellement même si je les connais bien. Et non toujours, ce n'est pas parce que je fais étudier un extrait d'un décret de Staline que je suis communiste, ou autre... Et j'ai passé 6 mois à ne faire presque que ça avec mes 6e. Je n'oserais pas parler de mes 3e. Par contre, les reptiliens, les illuminatis, les Juifs (sic)... Ca, ils connaissent. Et en cherchent au collège.
Le système éducatif a toujours ses failles, ses insuffisances, ses contraintes. mais elle fait partie d'une société, et une société dont la globalisation est quand même facilement palpable. Les problématiques de regards distanciés, de culture générale, de maîtrise de la langue transcendent largement l'école, la France, l'Europe et même le monde occidental. Et d'ailleurs, la qualité de ton intervention le montre bien. La disparition des émissions culturelles sur le PAF, ou leur relégation à des heures obscures, dans des chaînes PPV ou à l'audience peu limitée, la valorisation médiatique et politique de l'inculture n'est pas nécessairement le fait de journalistes mais aussi et surtout de politiques/stratégies commerciales, marketings... Et ça, ça se passe dans des grandes écoles qui se copient les unes/les autres à l'échelle planétaire. Prenez le portail "d'informations" de Yahoo. La moitié des articles sont des traductions de faits divers américains ou britanniques. Ceux qui publient une "information" sur Internet via un blog, une page YouTube, un webmagazine, presse people et même les petites mains de certains quotidiens, ou de la PQR sont-ils tous des journalistes ? D'où vient le fameux stagiaire BFM ? Et les autres, diplômes des écoles de journalisme, prestigieuses ou moins prestigieuses, qu'ont-ils appris ? Sont-ils si idiot ? J'écoute de temps en temps Moscato, le journaliste "garant" Pierre Dorian est souvent dans une posture très saucisse et énerve souvent par des interventions dont la misère est égale à la précision syntaxique de l'animateur star. Pourtant, parfois, quand il s'agace et qu'il sort de sa ligne éditoriale, tu te rends bien compte qu'il est beaucoup plus intelligent, cultivé et rigoureux qu'il en donne l'air. Est-ce le système éducatif qui fait que le monde médiatique cherche le divertissement primaire autour du spectaculaire, du potache, de la proximité ?
Les parents ont un rôle décisif dans la construction de l'enfant, bien plus que l'enseignant car ils possèdent une emprise qu'ils ne soupçonnent presque jamais. Ils sont les garants ou les fossoyeurs de l'esprit critique, du champ lexical, de la correction syntaxique et des apprentissages scolaires. S'ils valident et remédient ces contenus, s'ils verbalisent souvent avec leur enfant, s'ils véhiculent le besoin et le plaisir de lire, de partager une lecture, de savoir, de partager le savoir, s'ils surveillent l'activité numérique de l'enfant et de l'adolescent, s'ils sont attentifs aux premiers écrits afin que l'enfant garde de bons réflexes syntaxiques et grammaticaux... Peut-être que l'école ne sera pas une réussite, mais l'enfant lui-même aura les codes pour réfléchir et comprendre par lui-même le monde qui l'entoure. Combien ont-ils remarqué que l'enfant, en 2018, écrit beaucoup plus en dehors du scolaire et en dehors de toute surveillance adulte ? Et si les problèmes syntaxiques et lexicaux ne venaient-ils pas, notamment, de ce langage interne aux enfants, sans relecture adulte, sans rigueur, sans imaginer l'importance de la clarté pour l'interprétation des faits ? Combien, dans une salle d'attente, dans un trajet en voiture, chez des amis, laissent-ils l'enfant seul face à un media ? Pas une fois, pas rarement, pas de temps en temps... mais systématiquement.
Nous sommes dans une société vieillissante. Les "valeurs" conservatrices prennent le pas sur les droits naturels. Les parcours de réussite, les qualités pour y parvenir changent et ne sont, pour le moment, plus liés à l'érudition, la rigueur d'expression orale ou écrite, la capacité à critiquer (positivement et négativement) un fait ou une attitude. Le matérialisme/l'accroissement de l'accès aux données (je vais préférer données à connaissances) ne sont pas, pour le moment, des opportunités de plus et mieux savoir puis que savoir n'est plus, et c'est à l'échelle planétaire, véritablement considéré comme important pour l'essentiel des individus... Et les politiques, sur ce coup, n'en sont pas forcément à l'origine. Ni même les patrons, ou les DG de grands groupes. Par contre, ces derniers l'acceptent, le reconnaissent et adaptent les émissions, la ligne éditoriale et finalement, l'école.
Pour résumer et finir, s'il y a une réponse à "pourquoi les journalistes ne réfléchissent-ils plus ?" C'est sans doute parce que, depuis un moment, beaucoup d'entre nous n'ont plus envie de voir un journaliste réfléchir. La responsabilité nous incombe tous. Comme elle nous appartient, à tous, de faire en sorte que nos proches, nos enfants et dans le cadre de nos métiers, on garde l'exigence, la rigueur, et, autant que possible, l'esprit critique.