Il y a eu un article très intéressant dans Le Monde hier sur les effets de la limitation à 10 des collaborateurs de ministres dans les cabinets. Bien sûr, l'article tartine beaucoup sur les horaires démentiels de ces collaborateurs, mais la deuxième partie de l'article explique que progressivement les services des administrations centrales sont en train d'une certaine façon d'y suppléer.
Démagogiquement, cette limitation du nombre de membres des cabinets est bien joué, sur l'air "il y a trop de fonctionnaires", mais à mon sens elle a en réalité deux objectifs.
Le premier est pour le président d'empêcher lors des prochaines présidentielles d'éventuels concurrents de prendre le chemin qu'il a lui-même emprunté, ou simplement de pouvoir constituer un bastion solide qui leur permettrait de résister à un remaniement. (Il faut se souvenir que Macron, au ministère des finances avait un cabinet de plus de 30 personnes dont on peut penser qu'une partie ont travaillé pour préparer son début de campagne en tant que boîte à idée et de conseils en communication, sous couvert de rédaction de notes techniques et d'aide à la communication du ministre.)
Le second est de faire basculer toute la haute administration dans le monde politique car l'article fait bien apparaître que les cabinets en viennent à demander à l'administration elle-même de faire la synthèse entre les avis parfois contradictoires des différents services. Or cette synthèse est très souvent politique car les visions défendues par les différents services sont souvent l'image d'antagonismes dans la société. Jusqu'à présent c'était au cabinet de faire la synthèse et donc d'arbitrer entre les points de vue, y compris en allant voir le ministre en cas de besoin. Cette situation nouvelle a deux conséquences. Cela veut d'abord dire que le pouvoir de l'administration va rapidement s’accroitre au détriment du gouvernement sur tous les sujets considérés comme secondaires par les politiques. Or faut-il le rappeler, les fonctionnaires, eussent-ils fait l'ENA, ne sont pas élus. Ils n'ont donc pas la légitimité pour faire un choix politique. La seconde conséquence qui découle de la première, c'est que la haute administration, sortant de son rôle de neutralité tel qu'énoncé après la seconde guerre mondiale (neutralité parfois un peu théorique, certes), devient politique ce qui légitime le spoil system cher à Macron.
Cela signe aussi la fin du principe de défense de l'intérêt général par l'administration puisque ce principe ne pouvait être légitime qu'avec une position de neutralité… C'est un bouleversement profond du lien entre les citoyens et l'administration qui s'annonce.
S'ajoutent l'attaque en règle sur les finances des collectivités locales les privant progressivement des moyens financiers de leur autonomie (pourtant affirmée politiquement), et le renforcement du rôle des préfets, Tout ceci participe à une centralisation rapide du pouvoir et sa concentration sur les mission de contrôle au détriment de tous les aspects sociaux (aménagement du territoire, santé, redistribution des richesses…)