Zimbabwe : l'inflation s'accélère, les exactions reprennent
LE MONDE | 01.07.08 | 11h24 • Mis à jour le 01.07.08 | 11h24
HARARE (envoyé spécial)
Personne n'imaginait que les lendemains d'élection présidentielle chanteraient au Zimbabwe. Mais la faillite du pays semble s'accélérer quelques jours après la réélection, proclamée dimanche 29 juin, de Robert Mugabe au second tour d'un scrutin où il était l'unique candidat. A la population, le "camarade-président" a promis une "prise de pouvoir à 100%" sur les richesses du pays trop souvent détenues par des Blancs à ses yeux. En attendant, les Zimbabwéens affrontent de telles difficultés d'approvisionnement que l'ancien grenier à céréales d'Afrique australe menace de basculer vers la famine et les épidémies. "Nous sommes dans une phase très délicate de notre existence", constate pudiquement un père de famille.
Déjà folle, l'inflation semble s'accélérer encore depuis le scrutin. Au point que les billets libellés en milliards de dollars zimbabwéens (zim$), introduits récemment, ne valent déjà presque plus rien. La période électorale a encore ralenti les activités économiques et l'argent ne tourne plus. A la course aux denrées, s'ajoute désormais la chasse au liquide. Devant les distributeurs automatiques de billets, les files d'attente incroyablement disciplinées sont presque aussi impressionnantes que devant les boulangeries : le plafond des retraits est fixé à 25 milliards de zim$, l'équivalent de 2 dollars américains jeudi 26 juin à la veille du scrutin, mais d'un seul ce lundi.
Le prix du rouleau de papier toilette, vendu à la sauvette, a atteint 10 milliards de zim$. Mais le précieux objet comporte environ trois fois moins de feuilles que le nombre de billets de 10 millions qu'il faut pour en faire l'acquisition. "Tirez-en vous-même la conclusion pratique", sourit un client qui a fait le calcul. Dans les supermarchés aux allures occidentales, les étiquettes sont changées chaque matin et les clients tournent entre des rayonnages aux trois quarts dégarnis. Des consommateurs facétieux ont rebaptisé "MT" (empty, soit "vide") La chaîne de magasins TM. Les rares articles disponibles le sont à cause de leur prix inabordable. Hagards, des pousseurs de chariot presque vide découvrent des paquets de céréales à 325 milliards de dollars zimbabwéens, soit seize fois le salaire mensuel d'un employé. The Herald, le journal pro-Mugabe, claironne que de nouveaux "magasins du peuple" proposent les denrées de base à des prix taxés. Mais selon des témoignages, ils sont réservés aux porteurs de la carte du parti présidentiel (la ZANU-PF).
Un pays à bout Sans électricité, souvent sans eau et sans grand-chose à mettre dans son assiette, comment les gens survivent-ils? Le marché noir, les petites cultures maraîchères et les devises envoyées par les 3 millions d'émigrés expliquent en partie ce miracle. Mais le pays est à bout. Alors que deux millions de Zimbabwéens (un habitant sur cinq) dépendent déjà de l'assistance d'une agence de l'ONU ou d'une ONG, les activités de ces dernières ont été suspendues début juin "jusqu'à nouvel ordre". Or l'effectif de personnes en situation d'"insécurité alimentaire" pourrait doubler au cours de cette année, estime un humanitaire européen. A moyen terme, la perspective est encore plus sombre si l'on considère que l'aide extérieure fournit non seulement des aliments d'urgence mais des intrants agricoles dont l'absence risque de compromettre les prochaines récoltes. Autrefois exportateur de céréales, le pays ne produit plus que 28% de ses besoins en maïs, denrée la plus populaire. Alors que l'hiver austral vient de débuter, "il faut s'attendre à une crise humanitaire", avertit un diplomate, qui ajoute : "Elle risque de se traduire par des mouvements massifs de population et de se propager à toute la région." Déjà, dans ce pays longtemps bien classé du point de vue sanitaire, un millier de cas de choléra ont été enregistrés en quatre mois et plus de 115 morts déplorés.
Face au sourd mécontentement de la population, Robert Mugabe va réactiver son arme habituelle : la politique d'"indigénisation" de l'économie qui, en remplaçant des fermiers blancs par des amis politiques peu versés dans l'agriculture, a précipité la catastrophe économique. Samedi, au lendemain du scrutin, trois véhicules ont fait irruption dans la ferme de Ben Freeth, un fermier blanc, à 100 km d'Harare. Une cinquantaine de nervis armés ont enlevé tous les adultes présents, puis les ont passés à tabac, leur infligeant de multiples fractures. Le fermier avait défrayé la chronique en obtenant du tribunal de la Communauté des Etats d'Afrique australe (SADC) un jugement suspendant son expulsion. Cette fois, sous la menace, Ben Freeth a dû signer une déclaration de renonciation à ses terres.
Gaston Philibert
Gaston Philibert