Le retour des émeutes de la faim:
Emeutes de la faim : la Banque mondiale tire la sonnette d'alarme
LEMONDE.FR avec AFP et Reuters | 14.04.08 | 07h18 • Mis à jour le 14.04.08 | 13h43
La Banque mondiale (BM) a décidé d'octroyer une aide de 10 millions de dollars à Haïti et d'y envoyer des experts pour aider les autorités haïtiennes à répondre à la crise alimentaire, qui a généré de violentes émeutes (5 morts et 200 blessés) et coûté son poste au premier ministre, Jacques Edouard Alexis. L'aide débloquée vise à permettre au gouvernement de "réagir à la hausse des prix de l'alimentation, qui deviennent inabordables pour les familles pauvres", explique la Banque mondiale dans un le communiqué. Samedi le président haïtien René Préval a annoncé une réduction du prix du riz pour éviter une répétition des violences des derniers jours.
Ces événements soulignent encore une fois l'importance de la crise alimentaire qui frappe actuellement les pays pauvres. Les assemblées de printemps du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, qui se sont tenues ce week-end à Washington, ont manifesté leurs préoccupations à cet égard. Dominique Strauss-Kahn, directeur général du FMI prévient qu'une poursuite de la flambée des prix aura des "conséquences terribles" : "comme nous l'avons appris dans le passé, ce genre de situation se finit parfois en guerre", a-t-il dit.
ROBERT ZOELLICK : "NOUS NE POUVONS PAS ATTENDRE"
Le monde se dirige "vers une très longue période d'émeutes" et de conflits liés à la hausse des prix et à la pénurie des denrées alimentaires, estime aussi Jean Ziegler, rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l'alimentation, dans un entretien à Libération publié lundi. "On va vers une très longue période d'émeutes, de conflits, des vagues de déstabilisation régionale incontrôlable", déclare-t-il. "Avant la flambée des prix déjà (...) 854 millions de personnes étaient gravements sous-alimentées. C'est une hécatombe annoncée", met en garde M. Ziegler.
D'après un rapport de la Banque mondiale publié la semaine dernière, la hausse des prix du blé atteignait 181% à l'échelle mondiale en février sur 36 mois, et la hausse mondiale des prix alimentaires 83% sur la même période. Cette flambée des prix a entraîné des manifestations violentes en Egypte, au Cameroun, en Côte d'Ivoire, en Mauritanie, en Ethiopie, à Madagascar, aux Philippines, en Indonésie, entre autres. Mais la Banque mondiale considère que ce sont au moins 33 Etats dans le monde qui sont menacés de troubles politiques et de désordres sociaux.
Le dossier sera discuté lors du G8 Finances, en juin au Japon. "Mais, franchement, nous ne pouvons pas attendre jusque là", a estimé Robert Zoellick, le patron de la Banque mondiale. Pour lui, il est temps de proposer une nouvelle matière de politique alimentaire, réellement ambitieuse. Il demande avec vigueur aux pays donateurs de fournir immédiatement au moins 500 millions de dollars dont a besoin le Programme alimentaire mondial pour faire face à la crise. La Banque mondiale prévoit de presque doubler ses prêts agricoles en Afrique en les portant à 800 millions de dollars. M. Zoellick veut aussi que les fonds souverains développent leurs investissements en Afrique, parmi d'autres mesures destinées à apaiser l'impact du ralentissement économique mondial sur les pays les plus pauvres.
Et fatalement, la question qui dès le départ pouvait être posée sur la viabilité des agrocarburants ressurgit avec force:
Les biocarburants accusés d'exacerber la crise alimentaire
LEMONDE.FR | 14.04.08 | 16h33 • Mis à jour le 14.04.08 | 17h39
C'est une dénonciation sans appel : "La fabrication de biocarburants est aujourd'hui un crime contre l'humanité." Jean Ziegler, le rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l'alimentation, accuse les pays développés d'être responsables de l'importante inflation qui touche les denrées alimentaires. Une flambée des prix qui a entraîné des "émeutes de la faim" à Haïti et dans plusieurs pays d'Afrique et d'Asie.
Le rapporteur spécial vise plus particulièrement la politique de subventions aux cultures destinées aux biocarburants mise en place par les pays développés. "Quand on lance, aux Etats-Unis, grâce à 6 milliards de subventions, une politique de biocarburant qui draine 138 millions de tonnes de maïs hors du marché alimentaire, on jette les bases d'un crime contre l'humanité pour sa propre soif de carburant", explique-t-il dans une interview au quotidien Libération. Plus rentables parce que subventionnées, les cultures destinées à la fabrication de biocarburants tendent à remplacer les cultures alimentaires, provoquant une raréfaction de produits de base comme le maïs, et donc une augmentation des prix.
Les biocarburants sont élaborés à partir de graisses et de sucres tirés de végétaux comme le blé, le colza, le maïs ou la betterave, qui sont également cultivés pour l'alimentation. Les futures générations de biocarburants devraient utiliser des résidus – fanes ou pailles – de ces aliments, mais ils sont encore loin d'être prêts techniquement.
L'UE DIVISÉE SUR LES SUBVENTIONS AGRICOLES
Plusieurs dirigeants européens, dont le chef du gouvernement italien Romano Prodi, ont dénoncé le fait que les cultures destinées à la fabrication de biocarburants bénéficient d'aides importantes. Une position soutenue par la Grande-Bretagne, qui demande la suppression de ces subventions.
L'Union européenne prévoit de porter à 10 % la part de biocarburants utilisés dans les transports dans le cadre de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. L'Agence européenne de l'environnement avait recommandé une suspension de cet objectif vendredi 11 avril ; une éventualité démentie par le Commissariat à l'environnement lundi 14.
La France, qui doit prendre la présidence de l'Union au second semestre, a d'ores et déjà annoncé qu'elle lancerait une discussion sur la place des biocarburants dans la politique agricole commune. Le ministre de l'agriculture Michel Barnier souhaite également renégocier le fonctionnement des aides au développement, dans le cadre d'une "initiative européenne pour la sécurité alimentaire". Les négociations devraient s'avérer complexes, l'Union étant notamment divisée sur le maintien de barrières douanières, contestées par l'Organisation mondiale du commerce mais défendues par plusieurs pays dont la France.