@Flavien : toi qui es prof d'histoire, qui sais l'importance de la (re) contextualisation, comment tu perçois la volonté de certains de nier / rejeter des pans entiers de l'histoire humaine ? On sait bien que l'histoire est écrite par les vainqueurs et que d'un pays à l'autre les mêmes événements ne sont pas racontés de la même manière et c'est justement ce qui est intéressant, d'expliquer le pourquoi, le comment dans le contexte de l'époque. Que tout n'est pas tout blanc ou tout noir, que notre histoire n'est qu'un gigantesque nuancier de gris. Ce qui me tue, c'est le côté extrême de certaines attitudes : cette histoire ne nous convient pas, elle nie notre identité, hop, à la poubelle. Ce roman pour enfants discrimine ma communauté, hop, on le brûle (cf au Canada il y a 2 ou 3 ans).
Je suis toujours fan de Noir Désir et j'écoute du Cantat, cela doit te donner ma version des choses.
:mdr:Il y a quelques années, l'Etat de Californie a décidé de débaptiser des écoles d'Etat car elles portaient le nom d'une personne réputée raciste/jsaisplus... Bref. Leur commission s'était faite sans historien et c'était volontaire, car on est des emmerdeurs en rond puisque le récit historique n'a pas à juger les faits ou les Hommes mais simplement raconter en essayant de comprendre tous les aspects (points de vue). Chose quasi impossible mais la réalité historique devient tangible grâce à une multitude de voix qui, avec leurs prismes, vont apporter ensemble quelque chose qui y ressemble.
Pour ce qui me concerne, et les collègues professeur d'Histoire que je côtoie, on est pas trop dans l'omission ou dans l'édulcoration. Pour être plus clair, je suis par exemple moins précautionneux que Samuel Paty l'a été. Pourtant j'ai au moins 50% de gamins qui sont musulmans dans mon collège. Et d'ailleurs au sujet de l'Islam, quand les mômes me racontent de grosses conneries, je n'hésite pas à les afficher sans pitié (dernière perle en date, une déléguée ne voulait pas aller au conseil de classe car c'était la rupture du jeûne, je lui ai demandé de me citer la sourate interdisant un délégué de remplir ses obligations morales et en quoi ce devoir est incompatible avec le jeûne).
Bref, l'Histoire est effectivement du bon gros gris qui tache, et surtout avec des échelles de valeur, des principes qui évoluent, parfois rapidement, parfois moins. On en a beaucoup parlé, mais Despentes qui crache sur Jospin car il est frileux au sujet du mariage pour tous, moi ça me dépasse. Il avait 70 ans à l'époque, c'est pas le futur, on s'en branle de son avis. Ceux qui ressortent des cadavres sur Cousteau ou sur l'abbé Pierre, ok, fair enough, la vérité doit être sue, mais ça changera pas ce qu'ils étaient et ce qu'ils ont fait et ceux qui les admirent doivent pouvoir continuer des les admirer. JK Rowling aussi, même si ce serait bien qu'elle ferme un peu sa gueule car elle franchit des paliers regrettables... Ca m'empêchera pas d'aimer son univers.
Et a forciori quand on parle de personnes qui ont vécu il y a encore plus longtemps de cela (Céline, Clémenceau, Thiers, Robespierre... Jusqu'à Platon (doit on cancel Platon car c'était un putain de pédophile, gerontocrate, mysogyne ?).
Je ne suis absolument pas pour débaptiser une rue par volonté d'effacer de la mémoire publique.
Mais deux réserves :
- L'effacement est un rituel public qui n'est pas nouveau. Dans le pays de Sumer, on casse les tablettes d'argile et hop, on oublie une période de l'Histoire. Chez les Romains, quand un Empereur était considéré comme nocif, il subissait à sa mort la "damnatio mémoriae" et c'était pas drôle : on fond les statues, on débaptise les lieux publics, on l'effaçait de tous les registres publics... On ne parlera évidemment pas de Staline hein lol Et en France, la Révolution française a été une vaste période de tentative d'effacement avec de nombreuses destructions (beaucoup de statues équestres ont été détruites, de nombreuses églises, des châteaux, des registres...) et, bon, vous connaissez tous la blague du calendrier révolutionnaire et des changements de noms de personnes (Philippe d'Orléans devient Philippe Egalité) ou de communes (Saint Etienne devient Ville d'Armes)...
- Considérant la mémoire publique, notamment celle qui est visible, il faut aussi respecter le cycle de nouveaux noms... Que ce soit des femmes qui ont existé et dont l'influence culturelle, philosophique, scientifique... a été complètement sous estimée (Marie Curie, Madame de Staël ou Olympe de Gouge pour les blockbuster) ou des personnes de la seconde moitié du vingtième siècle qui doivent apparaître dans l'espace public (ou du moins méritent autant que... Je sais pas, par exemple un maréchal Bugeaud pour citer une personnalité assez... Sulfureuse). Et bref, on ne peut pas toujours compter sur l'étalement urbain pour ces nouveaux noms... Donc il faut bien, comme cela a toujours été fait dans l'Histoire urbaine, débaptiser/rebaptiser (ex classique, la place royale devenue place de la république).