Après la remise en question de son statut de monnaie pétrolière, le dollar plongeLE MONDE | 07.10.09 | 14h56 • Mis à jour le 07.10.09 | 14h56
Est-ce la fin du couple dollar-pétrole ? Pour la commercialisation du brut, les six pays du Conseil de coopération du Golfe (Arabie saoudite, Bahreïn, Koweït, Qatar, Oman, Emirats arabes unis) envisageraient, avec la Chine, la Russie, le Japon et la France, de remplacer la devise américaine par un panier de monnaies incluant le yen, le yuan chinois, l'euro, l'or et la future (et hypothétique) monnaie commune du Golfe. Le dispositif ne serait pas mis en place avant 2018 et l'or servirait de "monnaie" de transition durant les dix prochaines années.
Ce scénario a été révélé, mardi 6 octobre, par The Independent, qui cite des sources bancaires arabes et chinoises basées à Hongkong. Le quotidien britannique ajoute que des "réunions secrètes" ont eu lieu au niveau des ministres des finances et des gouverneurs de banque centrale en Russie, en Chine, au Japon et au Brésil. Les autorités américaines étaient au courant, mais elles n'en connaissaient pas la teneur précise.
L'information a beau avoir été démentie par de hauts responsables saoudiens, koweïtiens ou russes, elle a entraîné un recul du billet vert face à l'euro (à 1,4745 dollar) et une flambée de l'or. S'il se réalisait dans quelques années, ce serait un rude coup pour la monnaie américaine. Le pétrole, qui reste la reine des matières premières, donne lieu chaque jour à 5 milliards de dollars (3,4 milliards d'euros) de transactions commerciales. Ce serait surtout un camouflet politique pour Washington et la fin des étroites relations d'intérêt nouées depuis 1945 avec les monarchies du Golfe - surtout l'Arabie saoudite - : la sécurité pétrolière pour les Etats-Unis, la sécurité militaire pour le Golfe. On n'en est pas là. A l'Elysée, on affirme ne pas être au courant d'un tel projet. A Bercy, on parle de "pures spéculations".
"Théorie du complot"Il reste que la forte réaction des marchés financiers témoigne de la fragilité du dollar, dont le statut de monnaie de réserve est de plus en plus remis en cause. Ben Bernanke, président de la Réserve fédérale américaine, l'a récemment reconnu. Pour de nombreux économistes, qui jugent les informations de The Independent peu crédibles, ces fuites relèvent d'une "conspiration contre le dollar" et alimentent une "théorie du complot". Ils les replacent dans le contexte d'une montée en puissance de la Chine. Avec Moscou, Pékin plaide depuis quelques mois pour l'émergence d'une nouvelle monnaie de réserve, qui pourrait être le DTS, la "monnaie" du Fonds monétaire international (FMI).
Ils ont été confortés dans leur analyse par les déclarations du sous-secrétaire général des Nations unies aux affaires économiques, le Chinois Sha Zukang. En marge de la réunion du FMI, à Istanbul, il a jugé nécessaire de "réduire le privilège du pays ayant la monnaie de réserve de maintenir des déficits extérieurs". Mardi, le ministre chinois des finances, Xie Xuren, appelait aussi à régler les "défauts intrinsèques" du système monétaire.
Certains économistes jugent qu'un abandon du dollar dans le négoce du pétrole et des matières premières lui ferait perdre la moitié de sa valeur en dix ans. "Cela paraît impressionnant, analysent les experts de BNP Paribas, mais cela représente une baisse annuelle de 5 % en moyenne, moins que sa récente dépréciation." D'autres préviennent qu'il pénaliserait le marché pétrolier, qui deviendrait fragmenté et moins liquide : il y aurait d'un côté un marché où de gros acteurs libelleraient leurs échanges commerciaux en monnaie panier et de l'autre un marché à terme où le négoce se ferait en dollars.
L'idée d'un baril de brut référencé sur un panier de devises n'est pas une vue de l'esprit. Elle revient quand le dollar a des accès de faiblesse. Elle a été officiellement discutée par l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), réunie au niveau des chefs d'Etat, à Riyad, en novembre 2007. L'Arabie saoudite et les monarchies du Golfe s'étaient alors opposées aux "faucons" (Iran, Venezuela), qui prônaient des mesures pour compenser la baisse du dollar.
Aujourd'hui, "tous les pays, et pas seulement les producteurs de pétrole, ont peur de la chute du dollar", explique Pierre Terzian, directeur de la revue Pétrostratégies, citant la Chine et les compagnies pétrolières qui vendent leur production dans la devise américaine. Il interprète ces fuites dans la presse comme "un signal adressé aux Etats-Unis pour leur dire : "arrêtez de laisser filer votre monnaie"".
Les pays du Golfe ou la Chine n'ont aucun intérêt immédiat à une plongée du billet vert. Leurs devises sont accrochées à la devise américaine. Ils ont des centaines de milliards de dollars dans leurs réserves de change et leurs fonds souverains. Riyad, Doha ou Abou Dhabi vendent leur or noir dans cette monnaie, alors qu'ils achètent beaucoup de biens dans des devises plus fortes comme l'euro.
En attendant de voir le yuan devenir une monnaie phare, la dépréciation du billet vert a poussé la Chine à puiser dans ses réserves en dollars pour investir dans les matières premières - notamment pour sécuriser ses approvisionnements énergétiques au moment où le prix des actifs pétroliers baisse. Selon Pétrostratégies, Pékin a "engagé 105 milliards de dollars dans les hydrocarbures (hors achats courants de pétrole, de gaz et de gaz naturel liquéfié) entre août 2008 et juillet 2009 ", dont un tiers dans les républiques d'Asie centrale, mais aussi en Iran, en Irak et, dans une moindre mesure, en Afrique.
L'once d'or bat un record et atteint 1 043,78 dollarsL'once d'or a battu, mardi - octobre, à Londres un record historique, à 1 043,78 dollars. Les experts expliquent ce mouvement par les craintes d'inflation et surtout par l'affaiblissement du dollar, dont le statut de monnaie de référence est remis en cause. Le billet vert est également pénalisé par le fait que les investisseurs se portent vers des devises plus rémunératrices. Comme, par exemple, le dollar de l'Australie, où la banque centrale a relevé ses taux de 0,25 point mardi.
Jean-Michel Bezat et Cécile Prudhomme