Les Cambodgiens curieux et perplexes devant une "femme de la jungle"
l y a deux certitudes. La petite Rochom P'ngieng, âgée de 8 ans, a disparu en 1988 alors qu'elle gardait les buffles dans un district reculé du nord-est du Cambodge, près de la frontière vietnamienne. On n'a plus jamais entendu parler d'elle.
Aujourd'hui, Sal Lou, un des chefs de la police de la bourgade d'Oyadao, affirme que l'étrange créature d'apparence humaine, qui pourrait avoir aujourd'hui 27 ans, trouvée dans la forêt le 13 janvier, est à n'en pas douter sa fille disparue. "La femme de la jungle", a-t-elle été aussitôt surnommée. Et pour cause : elle marchait penchée en avant dans une posture simiesque, elle articule des sons inintelligibles et se contente, pour communiquer, d'indiquer par ses mains sur son ventre qu'elle a faim ou besoin de déféquer. Le reste du temps, elle contemple, le regard vide ou étonné, son entourage.
Mercredi 24 janvier, elle aurait mimé le sourire humain devant un spectacle de marionnettes monté pour elle par Hector Rifa, un docteur en psychologie espagnol intervenu au cours des derniers jours. Il s'agit maintenant de comprendre quelle est son échelle de perception.
La jeune personne aurait passé dix-neuf ans dans la jungle, selon sa famille, qui affirme la reconnaître sans aucun doute : elle porte une cicatrice au bras droit d'une blessure par couteau que son frère supposé, Rochom Kamphi, dit lui avoir infligée par accident peu avant sa disparition. Le "père" l'a trouvée après que sa gamelle a été subtilisée au cours d'une étape dans une tournée en forêt. Elle a été alors "capturée" puis ramenée au village.
La famille Rochom appartient à la minorité ethnique Pnong, une des populations aborigènes qui habitent les montagnes des provinces de Rattanakiri et Mondulkiri, les zones les plus désolées du Cambodge. L'animisme y est la règle.
La "femme de la jungle", objet depuis plusieurs jours de l'attention de la population des environs mais aussi de la presse venue de Phnom Penh, a joué, en la circonstance, son rôle de prima donna naturale. Elle affectionnerait les vidéos de karaoké jouées sur la télévision "familiale" et observe les journalistes avec autant d'attention qu'eux l'examinent.
"LES CHEVEUX MI-LONGS"
Certains ont des doutes. "Si elle a passé dix-neuf ans dans la forêt, pourquoi avait-elle les cheveux mi-longs quand on l'a trouvée ?", demande le supérieur policier de Sal Lou. "N'a-t-elle pas en réalité passée son temps dans une famille ?" Est-elle même, techniquement, "cambodgienne" ? Cette région difficile d'accès a de longue date été traversée par des flux de population oscillant entre les montagnes khmères et les hauts plateaux vietnamiens. C'est aujourd'hui une concession minière australienne de 300 km² à la recherche d'or, à plus de 70 km de la première ville du Cambodge.
La famille présumée est incitée à accepter l'idée d'un test d'ADN qui permettrait d'identifier la filiation. "Je n'ai pas besoin de ces examens pour vous dire que c'est ma fille", dit Sal Lou. Jolie, quoique l'air un peu perdu, "Rochom" a collé encore un peu plus au rôle médiatique : elle a tenté à plusieurs reprises de s'enfuir à l'occasion de visites aux toilettes. La famille l'a rattrapée.