Dans la foulée, la loi Perben II de 2004 obligera toute personne condamnée à plus de dix ans de prison à fournir son ADN. Qui refuse, perd aussitôt tout droit à une réduction de peine.
"Bien des infractions manquent encore pour alimenter le fichier, ironise Côme Jacqmin, secrétaire général du Syndicat de la magistrature (SM). Nombre de délits financiers tels le délit d’initié, la fraude fiscale ou l’abus de bien social n’exigent pas de fichage ADN..." En attendant, le Fnaeg, qui est alimenté depuis 2002, grossit à très vive allure : 2 100 références en 2002, 40 000 en 2004, 283 000 aujourd’hui. Parmi elles, 107 000 personnes condamnées, 163 000 "soupçonnées", 16 726 traces relevées sur des scènes de crimes.
Insuffisant, estiment les autorités françaises qui rêvent d’atteindre les "performances" de la Grande-Bretagne, championne du monde en la matière avec 3 millions de profils enregistrés, soit 5 % de la population !
Pourquoi avoir étendu le fichage à un si grand nombre d’infractions ? Pour le directeur de la police judiciaire, Frédéric Péchenard, "cet outil extraordinaire pour éviter les récidives criminelles" n’a de sens que si le maximum d’individus s’y trouvent répertoriés. Parce que, constate-t-il, "il est très rare que les violeurs ou les tueurs en série ne soient pas connus des services de police pour des infractions moindres (vols, petits incendies, actes de cruauté envers les animaux, etc.). Le Fnaeg, dont les consultants doivent bien sûr rester strictement encadrés, est une nécessité de la police moderne, autant pour les victimes que pour les suspects éventuels qui peuvent, grâce à une trace ADN, être lavés de tout soupçon".
Efficace, certes. Mais non sans risque de dérive. Risque d’erreur, d’abord. Non seulement une personne peut se trouver à tort sur le fichier, mais une trace d’ADN sur la scène d’un crime peut être trompeuse. Un criminel ne peut-il être porteur de l’ADN des personnes dont il a serré la main dans la journée ?"En effet, répond Frédéric Péchenard. Tout comme les empreintes digitales, l’ADN est un élément de l’enquête, jamais une preuve suffisante. L’important, c’est l’interprétation que l’on peut en faire." Jean-Paul Jean, magistrat pénaliste, n’est pas si optimiste : "L’infaillibilité scientifique de l’ADN impressionne fortement les jurés d’assises, et parfois à tort."
Risque d’arbitraire, ensuite. Relever et ficher une empreinte coûte cher : environ 400 euros, même si la concurrence des laboratoires tend à casser les prix. L’opération demande du temps : réquisition par le magistrat, prélèvement par le gendarme ou le policier, transformation par le "labo" de la trace (sang, sperme, salive, urine...) en empreinte génétique. Une telle économie ne permet pas de répertorier d’un coup toutes les personnes prévues par la loi. Dès lors, qui ficher en priorité ? Lors de son procès le 25 août, Benjamin Deceuninck s’en est étonné : sur les 11 personnes condamnées comme lui à Avelin pour l’arrachage des betteraves OGM, seules six étaient requises de donner leur ADN. Selon lui, les plus "politiques"... Le procureur de la République à Lille, Philippe Lemaire, affirme avoir requis des poursuites contre tous. A charge pour les tribunaux du lieu de domicile de les mettre en oeuvre. Avec plus ou moins de zèle et de moyens.
Ris que de mésutilisation, enfin. Notre ADN intéresse beaucoup de monde. Contrairement aux empreintes digitales, il contient une masse d’informations qui dit tout de nous. L’ADN est notre intimité. Vous êtes porteur d’une maladie génétique, d’une maladie dégénérescente, d’une séropositivité ? L’employeur, le banquier, l’assureur sont intéressés. Comment veiller à ce qu’un policier ou un magistrat, cumulant par exemple sa retraite avec un emploi privé, ne communique pas de renseignements à son employeur ?
En principe, la loi en vigueur interdit ces dérives. De l’ADN, le fichier ne retient que les segments qui permettent d’identifier la personne. Les autres sont définitivement rejetés, assure Christian Hassenfratz, le magistrat en charge du Fnaeg. Il est donc légalement impossible de connaître par le Fnaeg l’ethnie à laquelle appartient un fiché ou les maladies dont il peut être affecté. L’accès au fichier est limité aux magistrats et à la police. La conservation des empreintes varie de 25 à 40 ans selon le type d’infraction.
Cette longue durée fragilise d’autant les garanties puisqu’une nouvelle législation peut venir les modifier à tout moment. Pour Meryem Marzouki, présidente de l’association Iris (protection des libertés dans l’usage d’Internet), c’est bien tout le problème. "Le principe est simple : on profite d’un contexte émotionnel fort (attentat terroriste, meurtres en série) pour créer un fichier. Une fois l’instrument en place, il suffit d’étendre sa finalité par petites touches. L’opinion est plus sensible à la victime qu’au citoyen..."