La baisse du pouvoir d'achat des supporteurs inquiète les clubs
LE MONDE | 06.10.08 | 15h11
La crise financière mondiale, apparue aux Etats-Unis dès 2007, a déjà fait sentir ses effets sur une équipe du championnat de France. C'était au printemps 2008, à Grenoble.
Le club isérois, détenu à 99 % par l'entreprise japonaise Index Holdings, une société de services pour téléphones portables, s'apprêtait à rejoindre les rangs de la Ligue 1. La direction nationale du contrôle de gestion (DNCG), l'organe financier de la Ligue, a alors fixé comme préalable à la montée du Grenoble Foot 38 (GF38) en L1 qu'il comble son déficit d'exploitation, de l'ordre de 9 millions d'euros, pour la saison 2007-2008.
Un effort financier difficile à tenir pour les actionnaires du club à un moment où l'entreprise subissait de plein fouet les effets du krach boursier. " J'étais en première ligne pour constater que les possibilités financières d'Index s'amenuisaient", rappelle Pierre Mazé, président délégué du club entre 2005 et 2008.
"Début 2006, une action d'Index valait 250 000 yens (1 615 euros), aujourd'hui, elle est cotée autour de 17 000 yens (110 euros)", détaille le dirigeant, qui a quitté cet été le Grenoble Foot 38 pour désaccord avec la stratégie des propriétaires japonais du club.
Le versement de 700 millions de yens (4,2 millions d'euros) consenti par Index en juin a permis de lever le verrou de la DNCG, mais n'a pas résolu les problèmes de trésorerie du promu isérois. Pour son retour dans l'élite, Grenoble dispose cette saison de l'un des plus petits budgets de Ligue 1 : 25 millions d'euros, soit six fois moins que l'Olympique lyonnais.
A l'autre extrémité de l'échelle budgétaire de la L1, le septuple champion de France semble à l'abri de telles tensions financières. "Si l'on résiste mieux que les autres clubs, c'est parce que l'OL dégage une trésorerie nette de plus de 100 millions d'euros", avance Jean-Michel Aulas.
"Quel que soit le secteur économique, ce sont les sociétés les moins endettées qui sont les mieux armées pour affronter la crise", insiste le président du club lyonnais, dont l'équipe fait la course en tête après huit journées de championnat. "Le niveau d'endettement des clubs français n'est pas très élevé comparé au taux de la Premier League anglaise", confirme Frédéric Bolotny, économiste au Centre de droit et d'économie du sport (CDES).
"Les clubs de Ligue 1 étaient très endettés au cours de la période 2001-2005, du fait de l'amortissement du coût des transferts (l'explosion des droits télé, en 1999, a permis pendant deux saisons de dépenser des sommes colossales sur le marché des transferts). Aujourd'hui, leurs comptes sont largement apurés et les droits télé, qui représentent 58 % des ressources des clubs, sont sécurisés pour quatre ans", détaille le chercheur du CDES, qui voit là des raisons d'écarter tout scénario catastrophe.
Le football professionnel français n'est pas pour autant engagé sur un long fleuve tranquille. "Consommer du foot, ce n'est pas un bien de première nécessité", pointe Frédéric Bolotny. "Les difficultés en termes de pouvoir d'achat, qui datent d'avant la crise financière mais risquent d'être amplifiées par les événements actuels, peuvent à terme peser sur un modèle économique où le supporteur est au centre de presque tous les postes de recettes : les droits télé, la billetterie, le merchandising", analyse l'universitaire.
Cette crise de la consommation est déjà perceptible. L'OL a enregistré une baisse de 10 % de ses ventes de produits dérivés en septembre, après deux mois de hausse en juillet-août, lors de la commercialisation de ses nouveaux maillots de la Ligue des champions.
"Il va falloir tenir compte aussi d'une plus grande difficulté pour nos supporteurs d'acquérir des places", s'engage Jean-Michel Aulas.
Autre point de fragilité possible, le sponsoring des clubs. "Aucun sponsor n'a pour l'instant décidé d'arrêter ses investissements, mais l'ambiance est plutôt tendue", reconnaît Bruno Lalande, directeur de la société d'études TNS Sport.
La plupart des sponsors sont engagés sur de longues durées, Lyon a par exemple un contrat de cinq ans avec son sponsor Novotel. Sans évoquer de retrait pur et simple, "les entreprises élaborent différents scénarios pour 2009, suivant l'impact de la crise", observe Bruno Lalande.
"Si la crise s'avère durable, elle pourrait remettre en cause certains investissements sur les projets de nouveaux stades (Lyon, Lille, Strasbourg, Le Mans)", ajoute Frédéric Bolotny.
A un moment où les clubs français se mettent en ordre de bataille pour se doter des outils de développement dont ils ont besoin, l'arrêt de ces grands projets aurait un impact, dramatique celui-ci, sur le football français.
Simon Roger et Laurence Girard
Article paru dans l'édition du 07.10.08.