DADVSI, HADOPI, Big Brother, censure : non au pillage des artistes !

Kianouch

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AZB

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Re: DADVSI, HADOPI, Big Brother, censure : non au pillage des artistes !
« Réponse #1906, le 20 Février 2013 à 10:01 »
Citation
Autrement dit, c’est encore un Epic Fail pour la HADOPI qui les enfile comme des nouilles sur un collier à la fête des mères.
:ptdr:

Par contre, le truc moins amusant, c'est la pompe à fric que constitue cette loi idiote et inutile... Au lieu de s'auto-congratuler sur le fait que ça fonctionne ( mais bien sûr ), faudrait peut-être qu'ils songent à arrêter les frais
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Flavien

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AZB

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Re: DADVSI, HADOPI, Big Brother, censure : non au pillage des artistes !
« Réponse #1909, le 17 Mai 2013 à 15:54 »
Au revoir, Ado Pie ( oui je sais, ça date déjà d'il y a trois jours... :o )

http://www.liberation.fr/medias/2013/05/14/hadopi-va-t-il-disparaitre_902730

Quand on pense à tout le fric gaspillé depuis 4-5 ans pour ce truc qui n'aura servi à RIEN, sérieux...

Et maintenant c'est donc le CSA, qui nous faisait déjà chier pour les programmes télé, qui va se charger de punir les vilains pirates... Mwahaha
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The WormLord

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Je vous sers un ver ?

AZB

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Re: DADVSI, HADOPI, Big Brother, censure : non au pillage des artistes !
« Réponse #1913, le 24 Juin 2013 à 23:21 »
Citation de http://www.developpez.com/actu/57216/France-Le-CSA-veut-devenir-le-gendarme-des-magasins-d-applications-mobiles-le-Conseil-serait-il-trop-gourmand/
[...]

Ces nouveaux pouvoirs ne semblent pas contenter la CSA qui réclame aussi, par l'entremise de son président Olivier Schrameck, la régulation des magasins en ligne d'applications mobile en France.

Il justifie cette demande en expliquant « qu'un fabricant de terminaux connectés ou un magasin d'applications mobiles joue dans l'accès aux contenus et aux services un rôle crucial auquel la régulation ne peut rester indifférente. Se concentrer sur les seuls opérateurs hertziens et satellitaires ou sur les fournisseurs d'accès Internet, c'est ne pas saisir l'ampleur et les potentialités du rôle de la distribution. »

[...]

Dans sa ligne de mire le CSA à donc l'App Store d'Apple et le Play Store de Google qui disposent d'une grande latitude pour accueillir des contenus (notamment audiovisuels). Le CSA entend éviter que des éditeurs ne se retrouvent évincés des magasins en ligne de façon arbitraire, en référence à l'affaire Appgratis.

[...]
Tu donnes des pouvoirs a un truc, résultat : il en veut plus, classique  :wah:
J'vois pas trop comment qu'ils comptent s'imposer en controlleur de la VF de l'Apple Store par contre...
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AZB

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Kianouch

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Re: DADVSI, HADOPI, Big Brother, censure : non au pillage des artistes !
« Réponse #1915, le 25 Juin 2013 à 21:20 »
Citation de AZB le 25 Juin 2013 à 08:58
Mais ces vieux croûtons qui veulent contrôler des choses auxquelles ils entravent que dalle... Qu'ils se contentent de censurer les programmes télé, ça ira bien
Ça:
Citation
Dans sa ligne de mire le CSA à donc l'App Store d'Apple et le Play Store de Google qui disposent d'une grande latitude pour accueillir des contenus (notamment audiovisuels). Le CSA entend éviter que des éditeurs ne se retrouvent évincés des magasins en ligne de façon arbitraire, en référence à l'affaire Appgratis.
C'est bien, pour l'exemple cité où Google et Apple ont droit de vie ou de mort unilatéralement sur les apps.

Jaxom

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Re: DADVSI, HADOPI, Big Brother, censure : non au pillage des artistes !
« Réponse #1916, le 25 Juin 2013 à 23:24 »
En même temps, c'est leur store, leur règlement et condition d'utilisation et ils sont implantes hors de France, donc bon le CSA...  :sleeping:

De toute manière, ce n'est pas au CSA de s'occuper de ce genre de trucs mais a la commission européenne. Ici c'est juste une réaction au fiasco de la boite FR qui a vu son app retirée tantôt (donc la gauche aussi elle pond des lois circonstancières...).

A choisir entre la censure et avoir des chevaux de Troie et des spywares pulluler paske les utilisateurs font qu'installer des apps "cool" qui viennent de n'importe ou sur le web, je préfère la censure (oh wait... c'est deja plein de chevaux de Troie sur Android).

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Re: DADVSI, HADOPI, Big Brother, censure : non au pillage des artistes !
« Réponse #1917, le 28 Juin 2013 à 15:26 »
Faisant suite aux réflexions récentes sur la X-Box One et les problèmes de confidentialité sur FB, le projet PRISM, etc., voici deux articles fort stimulants sur la protection de la vie privée, d'autant que leurs conclusions sont diamétralement opposées.

(cliquez pour montrer/cacher)
Citation
Lettre ouverte à ceux qui n’ont rien à cacher
Par Jean-Marc Manach le 21/05/10 | 39 commentaires | 44,388 lectures | Impression

“Apportez-moi deux lignes du plus honnête homme et j’y découvrirai de quoi le faire pendre.”
 – Louis-Benoît Picard, inspiré de cette citation attribuée au Cardinal de Richelieu : “Avec deux lignes d’écriture d’un homme, on peut faire le procès du plus innocent“.
 
On entend souvent dire que “seuls ceux qui ont quelque chose à se reprocher ont quelque chose à cacher“, remarque “de bon sens” allègrement utilisée par ceux que ne dérangent pas -voire qui défendent- l’extension des mesures, contrôles et lois sécuritaires, et des technologies de surveillance qui leur sont associées.

Il fut un temps où la peine de mort relevait elle aussi du “bon sens“, tout comme auparavant l’interdiction faite aux femmes d’aller voter, ou encore le fait que les “nègres” et “bougnoules” ne pouvaient pas avoir les mêmes droits que ceux qui les avaient colonisés.

L’abolition de la peine de mort, tout comme le droit des femmes à aller voter, sans parler du droit des peuples à l’auto-détermination, ont été adoptés alors même que le “peuple” y était pourtant majoritairement opposé, par des hommes politiques ayant compris qu’il en allait des droits et libertés inhérents à ce que l’on appelle une démocratie.
 
En attendant de savoir jusqu’où notre société ira vers une prolifération de “Big Brothers“, ou si nous parviendrons à enrayer cette mécanique infernale, et à trouver les parades et arguments susceptibles de mettre un terme à la paranoïa sécuritaire de ceux qui nous gouvernent.
 
In fine, ou en résumé : le problème, c’est le voyeur, pas celui dont l’intimité ou la vie privée est ainsi violée. Les paranoïaques ne sont pas ceux qui s’étonnent d’être surveillés, mais ceux qui veulent surveiller tout le monde à tout prix. La question n’est pas de savoir si nous avons quelque chose à cacher, mais de renvoyer la question à ceux qui veulent nous “protéger” à l’insu de notre plein gré.

Dans une démocratie, c’est à l’accusation d’apporter les preuves de la culpabilité des suspects, pas à ces derniers d’apporter les preuves de leur innocence. Le problème des atteintes à la vie privée est éminemment politique, voire idéologique. Ce qu’il convient de démontrer, et ce que la presse “people” révèle relativement bien, par ailleurs.

Car ce qui pose problème aux “people“, ce n’est pas d’être exposé au regard du public : ils en vivent; ce qui leur pose problème, c’est l’intrusion dans leur vie privée : ils voudraient juste avoir le “droit d’être laissé seul“, pour reprendre la fameuse définition de la vie privée que donna Louis Brandeis, avocat et membre de Cour suprême des États-Unis, à la fin du XIXe siècle :


“Ceux qui ont rédigé notre constitution entendaient sécuriser les conditions favorables à la poursuite du bonheur. Ils reconnaissaient l’aspect spirituel de la nature humaine, de ses sentiments et de son intelligence. Ils savaient que seulement une part des peines, plaisirs et satisfactions de la vie sont à trouver dans les choses matérielles. Ils cherchaient à protéger les Américains dans leurs croyances, leurs pensées leurs émotions et leurs sensations. Ils ont donné contre le gouvernement le droit d’être laissé seul – le plus étendu des droits et le plus estimé pour les êtres civilisés.

Quand on cherche, on trouve
 
“Le secret d’une autorité, quelle qu’elle soit, tient à la rigueur inflexible avec laquelle elle persuade les gens qu’ils sont coupables“.
 – Raoul Vaneigem
 
Il existe de très nombreuses façons d’attenter à la vie privée de quelqu’un, et que même ceux qui n’ont “rien à cacher” peuvent en faire les frais.

Les milliers de Français nés à l’étranger qui, l’an passé, ont connu les pires difficultés pour renouveler leurs papiers, parce que suspectés de fraudes aux titres d’identité par des fonctionnaires tatillons ou suspicieux, devant leur rapporter moult papiers et preuves de filiation et de nationalité, n’avaient rien à cacher.

Ce SDF qui s’est vu refuser le renouvèlement de son RSA, au motif qu’il était trop propre, tout comme cette mère de famille qui a connu pareille mésaventure parce qu’on la soupçonnait de ne plus être célibataire, et qui dut faire le tour de ses voisins pour leur demander de témoigner qu’aucun homme ne vivait chez elle (la contrôleuse de la CAF vint fouiller ses tiroirs en lui demandant à qui appartenait les petites culottes), n’avaient eux non plus rien à se reprocher.
 
Branly Nsingi, un Congolais de 21 ans résidant en France, parti en vacances en Côte d’Ivoire et qui y est décédé d’une crise cardiaque après que les autorités lui aient refusé de rentrer à Paris parce que son passeport n’était pas biométrique (le même avait pourtant été validé au départ), ou encore ces 32 Marocains placés en rétention, et expulsés, alors qu’ils… rentraient tranquillement chez eux, n’avaient rien fait de mal, ce qui ne les a pas empêchés d’être pris dans la nasse de cette société de surveillance et de son usine à gaz sécuritaire qui renversent la charge de la preuve.
 
Dans le meilleur des mondes, policiers et gendarmes ne feraient jamais de fautes de frappe au moment de saisir le nom d’un suspect, et de ce dont il a été suspecté, dans leurs fichiers de suspects. Dans les faits, nombreuses sont les victimes qui sont fichées comme suspectes, sans parler des problèmes d’homonymie, d’absences de mises à jour des fichiers, de détournements de ces fichiers… En 2008, la CNIL a ainsi recensé 83% d’erreurs dans les fichiers policiers qu’elle a été amenés à contrôler.
 
Dans le meilleur des mondes, ceux qui sont payés pour regarder, toute la journée, les écrans de contrôle des caméras de vidéosurveillance, ne feraient jamais de délit de faciès, et ne se permettraient jamais de zoomer sur les décollettés de ces dames. Dans les faits, “15% du temps passé par les opérateurs devant leurs écrans de contrôle relèverait du voyeurisme, 68% des noirs qui sont surveillés le sont sans raison spéciale, tout comme 86% des jeunes de moins de 30 ans, et 93% des hommes“.
 
Dans le meilleur des mondes, les employeurs n’espionneraient jamais la vie privée de leurs salariés, pas plus que les époux jaloux, non plus que les parents suspicieux, ne se permettraient d’installer de mouchards dans l’ordinateur ou le téléphone portable de leurs maris, femmes ou enfants.

Sauf que nous ne sommes pas dans le meilleur des mondes, et que si la loi est censée empêcher ce genre de détournement de fichiers et d’atteintes à la vie privée, elle est rarement appliquée, d’autant que ceux qui sont ainsi espionnés, surveillés, à leur insu, sont souvent en situation d’infériorité hiérarchique face à ceux qui abusent ainsi de leurs pouvoirs.
 
Nombreux sont ceux qui n’ont rien à se reprocher, mais qui, pourtant, se voient suspectés, voire mis en accusation, par des surveillants, contrôleurs et représentants de l’administration ou de l’autorité agissant en-dehors de tout cadre judiciaire. Dès lors, et non content de ne pas pouvoir être assisté par un avocat, ce n’est, trop souvent hélas, pas à l’administration, à la fois juge et procureur, d’apporter la preuve de votre “culpabilité“, mais à la personne suspectée d’apporter la preuve de son “innocence“…

Ce n’est pas parce que vous n’avez rien à cacher que rien ne vous sera, un jour, reproché. Quand on cherche, on trouve, toujours.

Vidéosurveiller les chambres à coucher ?
 
“Si vous n’avez rien à vous reprocher, vous n’avez pas à avoir peur d’être filmés !”
 – Brice Hortefeux. Le lendemain, LeMonde.fr publiait la vidéo de son dérapage sur les arabes…
 
Dans la société de surveillance, de contrôle et de suspicion, le problème, ce n’est pas Orwell, c’est Kafka, ce qu’a très opportunément souligné Daniel Solove, professeur de droit à l’université George Washington, dans un remarquable article intitulé “Je n’ai rien à cacher”, et autres malentendus au sujet de la vie privée, qui a largement inspiré Hubert Guillaud dans son article sur la valeur sociale de la vie privée.
 
Permettez-moi une remarque “de bon sens“. En suivant la logique de ceux qui estiment que “seuls ceux qui ont quelque chose à se reprocher ont quelque chose à cacher“, et qu’il faudrait donc tout mettre en oeuvre pour que la peur “change de camp“, le meilleur moyen serait d’installer des caméras… à l’intérieur de nos maisons, appartements, mais également dans les voitures, voire sur nos vêtements, comme l’expliquait brillamment Anastassia Tsoukala, juriste, criminologue, et maître de conférences à Paris XI lors d’une table ronde organisée lors du colloque “Identification et surveillance des individus : quels enjeux pour nos démocraties” au Centre Pompidou, en janvier 2009 :

Le premier argument qui est avancé pour justifier les politiques et les moyens de la vidéosurveillance, c’est l’argument de la sécurité. Par extension, c’est pour notre bien que nous devons accepter le sacrifice de notre vie privée. Un corollaire est que ceux qui s’opposent à ce type de technique ont quelque chose à cacher. Soit. On peut donc s’attendre à ce qu’on applique la même logique à tous les contextes.

Or il s’avère que toutes les enquêtes de criminologie démontrent clairement que l’espace le plus criminogène, c’est-à-dire où se commet le plus d’infractions dans nos villes contemporaines, ce n’est pas la rue, mais c’est notre domicile et surtout nos chambres à coucher. C’est là où sont commis les violences conjugales, les cas d’inceste, de viol, de maltraitance d’enfants, etc.

Nous avons là des milliers de victimes réelles, et pas hypothétiques. Devrions-nous alors au nom de la violation de toute une série de valeurs sociales incontestables (le droit à la vie, à la famille, à la protection de l’enfance, etc.) accepter l’installation de caméras de surveillance dans nos chambres à coucher ?
 
Si on est cohérent, il faudrait dire que oui ! Et ceux qui s’y opposeraient auraient forcément quelque chose à cacher. Parce qu’on ne peut pas dire que la protection de la pudeur serait un contre-argument efficace pour contre-carrer la protection de toutes ces valeurs sociales.
 
Tout ça pour dire que les logiques qui lient protection de la sécurité et hausse de la surveillance sont loin d’être évidentes. Ces questions nous ramènent à notre notion de la vie privée. La question n’est pas évidente. Nous avons de multiples perceptions de la vie privée, une surveillance consentie, choisie, et une surveillance imposée, par la police.

Et comme nous n’avons rien à cacher, nous acceptons les Facebook, les blogs, les émissions de télé-réalité, etc., nous acceptons sans trop de problèmes les pass Navigo, les GPS, les portables, les cartes bleues, mais nous réagissons lorsque nous perdons le contrôle.

Mais là aussi il y a une illusion parce que la majeure partie des informations diffusées sur l’internet ou ailleurs peuvent être récupérées à notre insu, par des acteurs aussi bien publics que privés.
 
La question est de savoir si nous sommes vraiment sûrs de prendre des décisions en connaissance de cause. J’en doute fort : dans la plupart des cas, nous ignorons la plupart des enjeux, et nous pensons, de manière illusoire, que tant que nous contrôlons la diffusion première des informations, nous ne sommes pas en danger.
 
Des caméras dans des doudous
 
Allons-y franco : être dotés de caméras filmant, en permanence, l’intégralité de ce que l’on vit rendrait bien plus facile l’identification des voleurs, violeurs, criminels et délinquants. Et dans la mesure où la majeure partie des actes de pédophilie ont lieu au sein même du cercle familial, et sont souvent le fait du père, d’un oncle, grand-père, d’un entraîneur, prêtre, enseignant (voire de la mère, aussi), le meilleur moyen de combattre la pédophilie serait donc d’équiper tous les enfants (ou leurs chambres, les gymnases ou les presbytères) de caméras de vidéosurveillance.
 
Aucun pays n’a, pour autant, décidé de généraliser à ce point l’installation de caméras de vidéosurveillance, pour la simple et bonne raison que, d’une part cela coûterait trop cher, que d’autre part cela constituerait une atteinte à la vie privée de tous ceux qui (la majorité des gens) ne sont pas victimes de crimes ou de viols.

Dans une démocratie, il serait difficile d’imposer des systèmes de vidéosurveillance dans des espaces privés. Mais dans les espaces publics, rien ne s’y opposerait, et le projet de loi LOPPSI prévoit d’ailleurs explicitement la possibilité, pour l’Etat, d’imposer aux maires récalcitrants l’installation de caméras.
 
En Grande-Bretagne, 85% des établissements scolaires seraient équipés de systèmes de vidéosurveillance, et 10% en auraient même dotés leurs toilettes. Les services sociaux peuvent par ailleurs placer des familles pauvres et en difficulté dans des appartements vidéosurveillés 24h/24 afin de s’assurer qu’ils sont capables de s’occuper de leurs enfants.
 
Aux Etats-Unis, le scandale du WebcamGate a révélé que les webcams des ordinateurs portables confiés à des adolescents par leur lycée pouvaient être activés à distance. Officiellement, il s’agissait de pouvoir les retrouver en cas de vol. Dans les faits, le scandale a éclaté après qu’un responsable de l’école ait reproché à un élève de s’être livré à des “pratiques impropres” à son domicile, en lui montrant deux captures d’écran, prises dans sa chambre depuis la webcam, où on le voyait manipuler des pilules qui se sont avérées être des bonbons…
 
On pourrait également évoquer ces employeurs qui surveillent ce que font leurs employés au moyen du GPS qu’ils leur ont confié, ou par le biais de caméras de vidéosurveillance, mais également de ces parents qui installent des mouchards dans les ordinateurs de leurs adolescents, ou encore des caméras de vidéosurveillance cachées (y compris dans des doudous) afin de surveiller les nounous de leurs bébés.
 
Initialement conçues pour sécuriser un petit nombre d’espaces privatifs particulièrement sensibles afin d’en restreindre les conditions d’accès (coffre-forts, ambassades et autres établissements officiels…), les technologies de surveillance ont envahi l’espace public, et commencent à grignoter nos sphères privées.

Ainsi, dans son rapport sur l’efficacité des systèmes de vidéosurveillance installés sur la voie publique, le ministère de l’Intérieur mentionnait 18 faits marquants d’élucidation, grâce à la vidéoprotection. Or, seuls 3 d’entre-eux l’ont été grâce aux caméras contrôlées par le ministère de l’Intérieur, les autres affaires ayant été résolues grâce à des caméras installées dans des bureaux de tabac, hôtels, banques, supermarchés… le ministère allant même jusqu’à inclure dans ce rapport sur l’efficacité de la vidéosurveillance les images d’une vidéo qu’un particulier avait fait d’un mariage.
 
La vidéosurveillance permet d’identifier les délinquants : où est le problème ?
 
Nombreux sont ceux qui justifient l’accroissement de la vidéosurveillance parce qu’elle permettrait de dissuader les délinquants, ou d’identifier les voleurs.
 
Les études effectuées par des chercheurs indépendants concluent en effet toutes ou presque que la vidéosurveillance est globalement inefficace ou, plus précisément, que les caméras sont généralement aussi efficaces que des “boites en carton peintes en noires sur des poteaux” (voir aussi cet excellent dossier de Laurent Mucchielli et Tanguy Le Goff, deux des meilleurs spécialistes de la question).

Dans certains cas, bien particuliers, elle permet certes de lutter contre la délinquance (dans les parkings fermés et éclairés, ou bien dans les magasins, par exemple), mais il a été démontré que sur la voie publique, il valait mieux investir dans l’éclairage, ou encore en embauchant des gens, plutôt qu’en installant des caméras.

D’une part parce que personne, généralement, ne regarde les écrans de contrôle, que cela ne peut donc servir qu’après coup, et que par ailleurs la mauvaise qualité des images fait qu’il est souvent très difficile, voire impossible, de s’en servir pour identifier criminels et délinquants, d’autant que certains, de plus en plus nombreux, apprennent aussi à relever leurs capuches, ou mettre des casquettes…
 
D’autre part, la vidéosurveillance ne pourra jamais empêcher un quidam de péter un plomb : la vidéosurveillance peut éventuellement inciter des voleurs à aller voler ailleurs, mais elle n’enraye quasiment jamais les violences physiques, pas plus que les actes pulsionnels : ceux qui pètent un plomb n’ont que faire de la présence de caméras… Il pètent un plomb, point barre.
 
Cela fait maintenant 10 ans que je m’intéresse à la question, et je suis arrivé à la conclusion que la vidéosurveillance ne sert principalement qu’à rassurer les gens, et lutter, non pas contre la délinquance ou l’”insécurité“, mais contre le “sentiment d’insécurité” : les caméras permettent à ceux qui les ont installées de montrer qu’ils se sont saisis du problème… quand bien même cela ne change généralement pas grand chose en terme d’”insécurité“.

Ce pour quoi, en résumé, la vidéosurveillance en particulier, et les technologies de surveillance en général, servent en fait d’abord et avant tout à acheter des voix, et être (ré)élu lorsqu’elles ont été installées, sur la voie publique, par un élu politique.
 
La vidéosurveillance permet bien évidemment d’identifier des délinquants : le contraire serait désespérant. Sauf qu’une fois l’effet de surprise dépassé, ceux qui sont vidéosurveillés apprennent à s’en protéger, et déploient moult tactiques pour s’en prémunir, soit en mettant des casquettes ou capuches pour ne pas être reconnus soit, plus simplement, en allant voler, ou s’embrasser, là où ils ne sont pas surveillés, tout simplement.

La vidéosurveillance ne fait généralement que déplacer le problème, sans pour autant le résoudre. A contrario, elle peut paradoxalement contribuer à accuser, faussement, un innocent dont le seul tort était d’être au mauvais endroit, au mauvais moment, et qui se retrouvent, acculés, à devoir se justifier, et à démontrer qu’ils sont innocents de ce que la caméra de vidéosurveillance permettrait de supposer qu’ils pourraient éventuellement être coupables d’avoir fait.

La vidéosurveillance sème le doute, et instille de la suspicion, au point que d’aucuns parlent, non pas de “vidéo-protection“, pour reprendre l’expression qu’essaie d’imposer le gouvernement, mais de vidéodiscrimination, arguant notamment du fait que les jeunes hommes de couleur font l’objet de bien plus d’attention que le reste de la population, par les opérateurs de vidéosurveillance.
 
Enfin, il n’est pas anodin de remarquer que de nombreuses installations de vidéosurveillance ne respectent pas la loi. En 2001, Alain Bauer, le “Monsieur vidéosurveillance” en France, reconnaissait lui-même que les 3/4 des installations de vidéosurveillance étaient hors la loi, une situation pour le moins paradoxale : prétendre lutter contre ceux qui violent la loi tout en violant la loi n’est pas du meilleur aloi, et jure quelque peu avec l’objectif afficher qui serait de “garantir nos libertés“.
 
Depuis, Alain Bauer est devenu le principal conseiller ès-insécurité de Nicolas Sarkozy, à la tête de la commission de la vidéosurveillance, qui cherche à récupérer le contrôle de ces systèmes, aux dépens de la CNIL. Motif : en 1995, le gouvernement a décidé de placer la vidéosurveillance sous le contrôle des préfets, et donc du ministère de l’Intérieur. Dès lors, si ces systèmes sont aussi massivement hors la loi, c’est à cause de ce même ministère de l’Intérieur. Et il serait dommage que la CNIL vienne y fourrer son nez, et cherche à faire respecter la loi…

Every logs belong to us
 
En 2001, lorsque le gouvernement français décida, suite aux attentats du 11 septembre, de placer l’internet sous surveillance, et de garder la trace, pendant un an, de tout ce qu’y font les internautes, j’écrivais qu’”on imagine mal un gouvernement faire passer une loi d’exception, au nom d’impératifs de sécurité, stipulant qu’il convient de surveiller tous les faits et gestes de ses concitoyens, obligeant les compagnies de téléphone, ainsi que La Poste, à garder la trace, pendant un an, de qui communique avec qui, et quand, stipulant qu’il convient désormais de se doter d’une caméra de vidéosurveillance dès que l’on franchit la porte de son logis, contraignant les gens à garder la trace, pendant un an, des endroits qu’ils ont visité, des trajets effectués, des personnes rencontrées“.
 
C’est pourtant ce que le gouvernement français, comme d’autres, a fait : sur l’internet, il est d’autant plus difficile de revendiquer un droit à la vie privée que les traces de tout ce que l’on y fait sont, par principe, stockées par les fournisseurs d’accès, et gardées à la disposition de la justice, “au cas où“.
 
Or, l’une des toutes premières mesures mises en place par les dictatures est précisément d’abolir la vie privée, la liberté d’expression, d’opinion et de circulation, de généraliser la suspicion et de placer tous leurs “citoyens” sous surveillance.

A contrario, les démocraties estiment que ces libertés sont fondamentales, et que l’Etat ne peut pas -et ne doit pas- y déroger, sous peine de mettre le doigt dans un engrenage qui, in fine, nuirait à la démocratie dans son ensemble, et donc à ses citoyens.
 
Les démocraties considèrent qu’il faut faire confiance aux gens, que seule une minorité violera la loi, et qu’il est donc dangereux, et contre-productif, de considérer l’ensemble de leurs citoyens comme des délinquants potentiels, présumés criminels : la présomption d’innocence est la règle, et il revient à l’accusation de démontrer la culpabilité des suspects, pas aux suspects de démontrer leur innocence.
 
C’est ce qu’on appelle un “état de droit“. Et la loi, en France, précise ainsi qu’il faut d’une part déclarer (voire demander l’autorisation) à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) dès lors qu’une institution, une entreprise ou un organisme décide de ficher ou surveiller celles et ceux qu’ils accueillent, mais qu’il faut également les avertir du fait qu’ils sont surveillés, et leur accorder un certain nombre de droits (d’information, d’accès, d’opposition, de rectification aussi).
 
On ne peut pas surveiller n’importe qui n’importe comment. Ainsi, il est interdit, en France, d’identifier les mineurs par leurs empreintes digitales -ce que faisait le groupe scolaire Saint-Denis, à la cantine- parce que ce type de mesure est considéré comme “disproportionné” au regard de l’objectif recherché : une chose est d’identifier le directeur ou l’employé d’une banque par ses empreintes digitales lorsqu’il s’agit d’accéder aux coffres-forts, une autre est d’utiliser ce genre de méthodes pour que des adolescents puissent accéder à la cantine…
 
On ne tue pas les mouches avec des marteaux. En 1981, le journaliste Louis-Marie Horeau l’avait encore plus clairement expliqué, dans le Canard Enchaîné, évoquant “la recette bien connue de la chasse aux lions dans le désert : on passe tout le sable au tamis et, à la fin, il reste les lions“.
 
Les professionnels de la sécurité savent bien que rien n’est pire qu’un faux sentiment de sécurité : appliquer les méthodes anti-terroristes, ou destinées à lutter contre le grand banditisme, à l’ensemble de la population, ne peut qu’être contre-productif, ne serait-ce que parce qu’elles identifieront, à tort, nombre d’innocents comme “suspects“, mais aussi parce que cela leur fera surtout perdre du temps, de l’énergie, et de l’attention, à ceux qui sont chargés de veiller à la sécurité des gens.

In fine, sombrer dans l’hystérie ou la paranoïa sécuritaire revient à considérer que les terroristes ont gagné, parce qu’ils ont bel et bien réussi à nous terroriser.

D’autre part, ceux qui se font fort de culpabiliser les gens, de sorte qu’ils n’aient rien à cacher et acceptent d’être surveillés, sont souvent les premiers à refuser d’être transparents, et à avoir, sinon des choses à se reprocher, tout du moins des choses à cacher. Ainsi, les policiers sont souvent les premiers à réclamer l’installation de caméras de vidéosurveillance sur la voie publique. Mais ils sont également souvent les premiers à refuser d’en installer dans leurs locaux, ou à refuser que l’on puisse venir filmer leurs cellules et conditions de garde à vue. Et si la vidéosurveillance permet parfois de révéler des violences policières, il arrive également que les bandes, curieusement, disparaissent, ou que les caméras aient précisément été en panne à ce moment-là…


La vidéosurveillance ne me dérange pas : où est le problème ?


“Jusqu’à présent, ne pas être fiché signifiait une présomption d’innocence. Aujourd’hui, exister « sans trace » fait de vous le premier suspect.”
 – François Ewald, professeur au Conservatoire des arts et métiers.
 
Nombreux sont ceux qui ne voient pas pourquoi certains se permettent de critiquer ou de remettre en question des mesures ou systèmes de surveillance qui les dérangent d’autant moins qu’ils y sont habitués.
 
Je me suis sérieusement penché sur la question, enquêtant tout autant sur ce pour quoi la vie privée n’est pas un problème de “vieux cons” que ce pour quoi les “petits cons” d’aujourd’hui, qui ont grandi tout en étant constamment surveillés, ont de fait appris à en jouer, et à se mettre en scène, plutôt que de se contenter d’être observés à l’insu de leur plein gré.
 
Bruce Schneier, qui a travaillé pour l’armée américaine avant de devenir l’un des experts les plus réputés en terme de sécurité informatique, a très bien résumé le problème, dans un article opportunément traduit par Tristan Nitot, fervent défenseur des libertés ès-internet, qui rappelle opportunément que, sans vie privée, vous qui me lisez ne seriez probablement tout simplement pas nés, pour la simple et bonne raison que s’il y avait des caméras dans les chambres à coucher, personne ne ferait plus l’amour, et qu’il n’y aurait donc plus de bébés (sans parler des autres inconvénients qu’il y aurait à ne plus faire l’amour) :


La notion de vie privée nous protège de ceux qui ont le pouvoir, même si nous ne faisons rien de mal au moment où nous sommes surveillés. Nous ne faisons rien de mal quand nous faisons l’amour ou allons aux toilettes. Nous ne cachons rien délibérément quand nous cherchons des endroits tranquilles pour réfléchir ou discuter. Nous tenons des journaux intimes, chantons seuls sous la douche, écrivons des lettres à des amoureux secrets pour ensuite les brûler. La vie privée est un besoin humain de base.
 
(…) Si nous sommes observés en toute occasion, nous sommes en permanence menacés de correction, de jugement, de critique. Nous devenons des enfants, emprisonnés par les yeux qui nous surveillent, craignant en permanence que – maintenant ou plus tard – les traces que nous laissons nous rattraperont, par la faute d’une autorité quelle qu’elle soit qui porte maintenant son attention sur des actes qui étaient à l’époque innocents et privés. Nous perdons notre individualité, parce que tout ce que nous faisons est observable et enregistrable. (…)
 
Voici la perte de liberté que nous risquons quand notre vie privée nous est retirée. C’est la vie dans l’ex-Allemagne de l’Est ou dans l’Irak de Saddam Hussein. Mais c’est aussi notre futur si nous autorisons l’intrusion de ces yeux insistants dans nos vies personnelles et privées.
 
Trop souvent on voit surgir le débat dans le sens “sécurité contre vie privée”. Le choix est en fait liberté contre contrôle. La tyrannie, qu’elle provienne de la menace physique d’une entité extérieure ou de la surveillance constante de l’autorité locale, est toujours la tyrannie. La liberté, c’est la sécurité sans l’intrusion, la sécurité avec en plus la vie privée. La surveillance omniprésente par la police est la définition même d’un état policier. Et c’est pour cela qu’il faut soutenir le respect de la vie privée même quand on n’a rien à cacher.
 
De 1789 à mai 1968 et au-delà

“Lorsqu’on ne s’étonne plus du traçage, de la vidéosurveillance ou de la conservation des données, c’est justement le signal qu’on est entré dans un monde orwellien.”
 – Alex Türk, président de la CNIL
 
Ceux qui se permettent de critiquer les technologies de surveillance sont d’ailleurs régulièrement accusés de baigner dans une idéologie “droit-de-lhommiste” et/ou “post-soixante-huitarde“.

De fait, la Révolution française, les déclarations des droits de l’homme, “mai 68” en particulier, et les mouvements de libération (des femmes, des homosexuels, sans oublier ceux qui, précédemment, visaient à libérer les peuples “colonisés“) en général, ont consacré le droit des gens à l’autodétermination de leurs vies.

Certains le déplorent, d’autres s’en félicitent (j’en suis) : la démocratie et les droits qui y sont associés ne sont pas réservés mâles blancs dominants de plus de 18 ans. Et les droits de l’homme, le droit à la liberté d’expression, de circulation, ainsi le droit à la vie privée et à l’anonymat, s’appliquent désormais à tout le monde.
 
Mon enquête sur le groupe scolaire (privé, et catholique) Saint Denis (voir Quand Big Brother s’invite à l’école) a par ailleurs été perçue par certains comme relevant d’une forme d’”anti-catholicisme“…

Je n’ai que faire des convictions politiques ou religieuses de ceux dont je parle : je m’intéresse à la société de surveillance, j’ai eu l’occasion de brocarder des gens de droite comme de gauche, et la religion n’a rien à voir. La loi Informatique et libertés a été adoptée sous un gouvernement de droite par des gens, de droite ou de gauche, qui se rappelaient de l’utilisation qui avait été faite des fichiers par les administrations Pétain et nazie, par des personnalités de droite qui dénonçaient l’utilisation des fichiers par les communistes, et par des personnalités de gauche qui dénonçaient le fichage des “socialo-communistes“.

La loi informatique et libertés transcende les partis, et les idéologies, et a été adoptée pour rappeler qu’en démocratie, on ne peut pas ficher ni surveiller n’importe qui, n’importe quand.

La vidéosurveillance, la biométrie, les fichiers policiers et autres mesures ou technologies de surveillance peuvent être utiles. Dans certains cas, bien précis, encadrés, et en respectant la loi. Ce qui est souvent loin d’être le cas. Ce qu’il convient de rectifier.

http://www.internetactu.net/2010/05/21/lettre-ouverte-a-ceux-qui-nont-rien-a-cacher/

(cliquez pour montrer/cacher)
Citation
Laurent Chemla : je vous ai menti
 
Ça fait des années que j’explique, d’articles en conférences, qu’Internet n’est pas responsable de tous les malheurs du monde, que tout n’est pas de la faute au Net, qu’Internet n’est qu’un outil, un simple tuyau, que – comme tous les tuyaux – il est neutre par nature, et donc que ses usages n’ont pas à être davantage régulés ou contrôlés que les mêmes usages lorsqu’ils utilisent d’autres outils.
 
Des années à combattre les répétitives tentations de régulation, autorégulation, corégulation et autres pseudo-déontologies plus ou moins imposées à un citoyen qui – parce qu’il ose s’exprimer en public – devrait répondre à d’autres lois que le droit commun du simple fait qu’il utilise un outil électronique qui, à l’inverse de ses ancêtres, n’est pas régulé par la rareté (de l’espace en kiosque ou en librairie, de temps de parole en télévision hertzienne).
 
Des années que des Commissions, des Comités, des Conseils Nationaux, des Assises et des Séminaires nationaux cherchent les moyens de contrôler un réseau privé de pair à pair, qui s’est développé hors de tout contrôle à l’échelle internationale, fut-ce au prix de la liberté d’expression qu’il a enfin rendue accessible au plus grand nombre.
 
Pour y parvenir, tous les prétextes imaginables, ou à peu près, ont été utilisés. Dans un ordre à peu près chronologique, on a eu:
 la diffusion via le réseau d’un livre interdit en librairie (houlala les ciseaux d’Anastasie ont rouillé) ;
 l’expression publique de la haine raciale (ou l’arrivée des cons sur Internet) ;
 l’atteinte au droit d’auteur (août 1996, 1er cas avec les paroles des chansons de Brel et Sardou) ;
 la pédophilie ;
 le piratage (à ne pas confondre avec le partage évoqué 2 lignes au dessus) ;
 le vol de numéros de CB ;
 le terrorisme (LSI, Patriot Act) ;
 l’atteinte au droit d’auteur (Napster) ;
 les atteintes à la vie privée ;
 les arnaques en ligne ;
 la négligence caractérisée à l’obligation de sécurisation des réseaux ;
 l’addiction aux jeux d’argent ;
 l’évasion fiscale ;
 la mondialisation ;
 
et bien sûr
 l’atteinte au droit d’auteur.
 
Pendant 20 ans, je me suis battu au motif qu’Internet n’était pas en cause, parce qu’aucune de ces situations n’était spécifique au réseau (en dehors de l’hypocrite justification de l’HADOPI), qu’elles existaient au préalable, qu’elles relevaient de la loi commune et ne créaient donc aucun « vide juridique » au seul motif qu’un nouvel outil était utilisé pour commettre des crimes, et que rien ne justifiait qu’on remette en cause une liberté fondamentale enfin accessible à tous pour mieux combattre des délits anciens.
 
Pendant 20 ans, les yeux dans les yeux, je vous ai menti.
 
Oui, c’est vrai, je vous l’avoue, tout est de la faute à Internet. Je suis dévasté par le remords.
 
Le terrorisme, la crise du disque, les scandales d’état, le printemps pourri: c’est la faute au Net.
 
La mondialisation, la récession, la crise de l’euro, l’évasion fiscale ? La faute au Net.
 
La grippe A, le réchauffement climatique, la guerre, les photos de chatons ? La faute au Net.
 
J’avoue, j’avoue tout, je me retire de ce pas de la vie réticulaire: vous n’entendrez plus jamais parler de moi.
 
Vous croyez que j’exagère ? Que je force le trait ? Mais presque pas !
 
J’ai menti parce que tout mon argumentaire était basé sur une prémisse technique vraie (Internet n’est qu’un simple tuyau, à peu près neutre par définition) alors que sa suite ne traitait pas d’usages techniques mais d’usages sociaux. Internet est – et doit rester – techniquement neutre. Mais Internet n’a jamais été socialement neutre (et de mon point de vue c’est une bonne chose).
 
Prenons un exemple.
 
D’un point de vue strictement technique, Free est un simple intermédiaire. Il propose à ses clients un accès à Internet, avec certains réglages par défaut qui n’ont jamais particulièrement posé de problème. Techniquement, il est à peu près neutre. Il laisse à ses clients certains choix (réglage du temps de latence, IPv6, filtrage de l’ICMP…), mais il en impose d’autres (marge d’erreur ADSL, adresse IP fixe…) donc il n’est pas 100% neutre techniquement, mais, disons qu’il répond correctement au besoin d’une très grande majorité d’utilisateurs.
 
Pourtant, quand Free a décidé de filtrer par défaut certaines publicités, même des ministres de la République on ressenti le besoin de réagir publiquement et de critiquer le choix pourtant purement technique (le service de résolution de noms de domaine proposé – et non imposé – par Free se contentait de mentir pour certains noms) du fournisseur.
 
Filtrer le port 25, c’est mal ?
 
Ce filtrage se faisant en extrémité de réseau, chez le client, et sous son contrôle, il est difficile de juger qu’il s’agissait d’une atteinte formelle à quelque exigence de neutralité technique que ce soit. Et j’en veux pour preuve que Free fait pratiquement la même chose depuis des années en filtrant par défaut (tout comme Orange d’ailleurs) le port 25 de ses clients pour éviter que ceux-ci ne deviennent, à leur insu, des relais de mail pour les spammeurs du monde entier. Et pratiquement personne (en tous cas aucun ministre) ne s’en offusque.
 
Si la réaction à cette nouvelle option a été si forte, c’est donc que l’opérateur a franchi une ligne qui n’est pas une ligne technique.
 
En limitant l’affichage de la publicité, le tuyau – techniquement neutre – a modifié un équilibre social qui se basait sur l’état des lieux pré-existant à cette décision. Ce choix n’était pas neutre socialement, même s’il l’était techniquement. Ce choix technique – plus ou moins neutre techniquement – changeait la société.
 
En réalité, on voit bien que tant qu’on ne dit pas de quel Internet on parle, du réseau technique ou de son usage social, on parle dans le vide.
 
J’aurai pu aussi bien prendre l’exemple de Google quand il décide d’arrêter l’un ou l’autre de ses services gratuits, ou de Facebook quand il décide de modifier son API pour restreindre tel ou tel usage: d’un point de vue technique on voit mal sous quel prétexte on interdirait à telle ou telle entreprise privée de décider de modifier son offre commerciale: il ne viendrait à l’idée de personne d’interdire au patron d’un restaurant de changer sa carte du jour au lendemain (même si pourtant, là aussi, ça a une incidence sur ses fournisseurs, ses clients et ses employés). Ce ne sont que des services proposés à la société qui sont affectés: les tuyaux, eux, restent (relativement) neutres.
 
Et j’en reviens donc au mensonge primordial.
 
Bien sûr que le réseau doit être neutre, bien sûr que nous imposer un filtrage, une surveillance, une régulation technique, c’est MAL.
 
Mais bien sûr qu’Internet est tout sauf neutre sociologiquement.
 
C’est amusant, d’ailleurs, d’entendre les mêmes (à commencer certainement par moi) affirmer d’un côté qu’Internet a révolutionné la société (en permettant au plus grand nombre l’accès à la parole publique, et dans une très large mesure à la connaissance aussi), quand de l’autre nous expliquons doctement qu’il faut à tout prix préserver une neutralité non pas technique (car on l’a vu celle-ci n’était pas vraiment en cause dans l’exemple de Free) mais bel et bien sociale.
 
Alors que non seulement Internet n’est pas sociologiquement neutre, mais qu’au contraire il a modifié nos sociétés en profondeur, et à un point qu’on ne mesurera sans doute pas avant très longtemps (si nos élites lui prêtent vie). On a du mal à le comprendre, parce qu’il n’est pas très facile d’avoir le recul nécessaire alors même que cette révolution est toujours en cours, mais on peut, sur certains points tenter d’en mesurer l’énormité.
 
Dès qu’on cesse de mentir, on doit admettre qu’en réalité les défenseurs – dont je suis – de la neutralité de tous les Internets ne veulent pas (seulement) garantir sa pérennité, mais aussi qu’on le laisse produire ses effets sociaux sans tenter de les contrôler, entre autres parce que le contrôle d’un phénomène d’une telle ampleur aurait des implications (sociales, elles aussi) probablement bien pires.
 
On doit aussi (désolé) accepter que ces changements nous touchent, tout autant qu’il touchent l’industrie musicale, le journalisme et le reste. J’ai de plus en plus de mal avec ceux qui souhaitent qu’on ne contrôle pas Internet pour – par exemple – garantir la rente des ayant-droits, mais qui réclament en même temps qu’on le contrôle pour protéger – toujours par exemple – leurs données personnelles. Comme si c’était moins dangereux, moins difficile et sans conséquence. Cette forme de neo-luddisme à géométrie variable est, elle aussi, un mensonge.
 
Donc.
 
Les nouvelles technologies changent le monde. L’invention du feu a changé le monde. Celle de la roue. Celle de l’imprimerie. Celle des photos de chatons.
 
Il y a (même si, pour celle du feu et de la roue, je ne suis pas sûr) toujours eu des réticences, des peurs, des groupes de pression souhaitant empêcher l’innovation qui allait rendre caduc leur pouvoir ou la source de leur richesse.
 
Je doute qu’il y ait jamais eu une seule innovation qui n’a pas détruit le modèle économique d’un tiers. Il faut imaginer la tronche du type qui pré-mâchait la viande crue pour le vieux chef de tribu édenté quand on lui a montré un gigot rôti. S’il avait eu un lobby à l’assemblée du clan, on peut être à peu près sûrs qu’on aurait eu une HADOPI pour empêcher les feux de camp.
 
Le nouveau tire-bouchon, cet outil dangereux

 
Même quand on invente un nouveau modèle de tire-bouchon on risque de détruire quelques emplois chez le mec qui fabriquait l’ancien modèle.
 
Le progrès, on peut ne pas être d’accord, on peut se battre contre, mais soit on perd, soit c’est tout le reste de l’humanité qui perd pour que quelqu’un puisse garder son petit pré-carré.
 
Le job de nos représentants, normalement, c’est d’œuvrer dans le sens du bien commun, pas des intérêts particuliers. S’ils font l’inverse de ce pour quoi ils sont élus, alors il faut juste les virer à coup de pompes dans le cul parce que ce sont de très mauvais représentants.
 
Si pour sauver 30000 jobs dans l’industrie du loisir on décide de raréfier artificiellement une ressource abondante (le partage en P2P), c’est exactement comme si on empoisonnait toute l’eau des sources naturelles et des robinets pour protéger les vendeurs d’eau en bouteille. Exactement.
 
Bon.
 
Donc Internet change la société, et il faut le laisser faire, parce que comme ça que l’homme évolue et que j’ai pas envie de revenir à avant l’invention du feu juste pour protéger des pré mâcheurs de bidoche.
 
Internet change nos sociétés de multiples façons. J’ai eu l’occasion de traiter de certaines dans mes chroniques, en voici quelques-unes ici résumées :
 la disparition des intermédiaires, dans le commerce des biens matériels, fait souffrir de nombreux secteurs de notre économie. Dans le domaine de l’industrie culturelle les dinosaures européens bougent encore, mais chacun peut voir qu’il ne s’agit que des mouvements désespérés d’une proie déjà prise dans les crocs de son prédateur. En économie, l’avènement hautement prédictible et largement inéluctable des monnaies virtuelles, qui se passent de banques et de régulation régalienne, causera des ravages qu’on a peine à entrevoir, et le crowdfunding ne fait qu’aller dans le même sens. En politique, et surtout en temps de crise économique et de désillusion générale, qui peut dire ce que sera l’avenir quand la population comprendra qu’avec un réseau d’expression global elle n’a plus besoin de nommer des représentants locaux pour légiférer à sa place ?
 
Nous n’en sommes qu’au début, et bien malin celui qui pourra prédire aujourd’hui ce que sera demain un monde largement désintermédié, de l’hypercentralisation à la Amazon/Apple ou de l’hyperdécentralisation à la Bittorrent/Bitcoin.
 la disparition des frontières rend nos petites spécificités législatives nationales bien difficiles à mettre en œuvre à l’échelle globale. La question à la mode ces jours-ci est celle de la fiscalité (dite « du numérique », comme si les multinationales « non-numériques » avaient attendu Internet pour expatrier leurs bénéfices dans des pays de fiscalité réduite), et la difficulté à recréer – dans une économie mondialisée – des frontières virtuelles permettant de taxer untel ou tel autre. Vaste illusion, qui nécessiterait la remise à plat d’accords internationaux devenus quasi intangibles avec le temps, et qui fait sortir le pop-corn en abondance chez les GAFA à chaque fois qu’elle est évoquée. Mais aussi, en vrac, les législations interdisant, à l’échelle d’un pays, l’expression de telle ou telle horreur. Pour nous, pour des raisons historiques, la haine raciale est interdite. Pour d’autres, montrer certaines parties du corps humain est proscrit si elle sont dénudées. Ailleurs encore, la moindre critique de l’état est fortement réprimée. Mais comment exporter nos interdictions nationales sur un médium par définition transnational sans le réduire à néant (et avec lui tous les espoirs de croissance qu’il promet) ? Et quelles lois respecter ? Toutes en même temps, ou aucune ?
 
L’argent-roi a imposé à tous les peuples la mondialisation de l’économie. Internet n’a fait que suivre le même modèle, mais cette fois-ci plus ou moins à l’insu des gouvernements – au moins jusqu’à très récemment. Je ne crois pas qu’il sera possible de rétablir des frontières détruites sans que le prix n’en soit bien pire que le bénéfice. Mais que sera notre monde mondialisé futur, de la dictature libérale ou de l’utopie libertaire ?
 la dématérialisation est depuis longtemps un fait établi dans le domaine du logiciel (combien de softs installez-vous sur vos outils qui n’ont pas été téléchargés plutôt qu’achetés sur un support physique, ces dernières années). Dans le domaine de la musique et du cinéma, la messe est dite aussi (même si encore une fois on constate quelques spasmes post-mortem telles que le Bluray Audio). Le papier vit ses derniers jours (même si j’attends encore le logiciel miracle qui classera mes factures dématérialisées à ma place). Nos photos sont devenues numériques en même temps que leur nombre a explosé (surtout celles de chats) et que nos disques durs se sont transformés en nuages. Et on voit déjà se mettre en place le futur de l’impression 3D, au niveau moléculaire et donc – pourquoi pas – pour fabriquer sa nourriture à partir de briques de base à très faible coût. On peut déjà aujourd’hui aller dans une boutique imprimer l’objet que nous avons dessiné par informatique, et nous n’en sommes qu’au tout début. Alors, quoi ? Il est probable que les effets déflationnistes de toutes ces économies d’échelle permettront une baisse massive des prix à moyen terme (il faut là aussi attendre la fin des convulsions qui font qu’un e-book coûte parfois plus cher que son équivalent imprimé). Mais ce n’est pas sûr. Irons-nous vers un monde d’abondance pour tous, ou vers un enfer dans lequel tout sera verrouillé par des DRM, des brevets et des copyrights qui permettront à quelques privilégiés d’accumuler des richesses en créant une rareté, et donc une pauvreté, artificielle ?
 
Après cette courte introduction, et sans transition, j’ai choisi d’aborder plus en profondeur un autre de ces changements sociaux desquels Internet participe: la transparence.
 
Un préalable cependant, quant à la valeur de ce mot.
 
Récemment, l’affaire Cahuzac a permis de le mettre en lumière, mais on en parlait déjà peu de temps avant, notamment dans les débats concernant – justement – la Neutralité du Net: celle-ci est en effet présentée par certains comme la panacée, la neutralité étant garantie du simple fait que le client – dûment informé de ce que filtrent les uns et les autres – peut ainsi choisir le niveau de neutralité qu’il veut (en payant plus pour ne pas être censuré, donc, puisqu’il faut bien appeler les choses par leur nom).
 
Il suffit de se demander ce que serait Internet si ce principe avait été mis en place au début de sa commercialisation pour voir à quel point c’est illusoire: l’émission en volume via HTTP serait interdite, sauf à payer un tarif démesuré et à disposer d’un numéro de Commission Paritaire (de manière à garantir l’absence de toute dérive, évidemment), comme au bon vieux temps du Minitel. L’accès à chaque nouveau service mis en place serait soumis à une augmentation de prix. Vous paieriez pour chaque email envoyé ou reçu, ou même pour chaque tweet, pourquoi pas. Ici comme ailleurs, la motivation marchande pousserait à créer une rareté virtuelle, selon le bon vieux principe: « ce qui est rare est cher ». En toute transparence, bien sûr, et vous auriez le choix grâce à une concurrence libre et non faussée. Ou pas.
 
Il convient donc de se méfier: la transparence en tout est peut-être une très bonne chose, et je crois qu’elle est inévitable. Mais il faut se garder de croire qu’elle pourrait à elle seule rétablir un équilibre que la société ne garantirait pas par ailleurs (via la loi, ou les rapports de force). Elle ne sert – au mieux – qu’à mettre en lumière les dérives, jamais à les corriger.
 
La transparence est la vraie couleur du Net
 
La transparence.
 
Nous vivons désormais dans un Loft-Story planétaire. Nos vies se déroulent en permanence face-caméra: les réseaux sociaux, bien sûr. Et les blogs. Nos réseaux, nos amitiés sont publiques. Même nos carrières professionnelles, depuis nos premiers stages jusqu’à nos emplois actuels, sont publiées sur Viadeo et Linkedin. Ça ne choque plus personne, et ce n’est pourtant que le début. Déjà nos objets connectés balancent en public le nombre de kilomètres courus dans la journée, la maison de Turblog twitte quand quelqu’un sonne à la porte, et bientôt ce seront jusqu’à nos constantes physiques qui seront en ligne en temps réel. Les Google-Glass annoncent la suite de l’Internet des objets: un monde dans lequel chacun de nos actes, toute notre vie sera enregistrée, diffusée, utilisée au moins par les publicitaires et les statisticiens, et probablement aussi par les appareils étatiques.
 
Certains, qui réagissent sur l’instant, pensent pouvoir établir des limites à l’exposition de la vie privée. Il existe des initiatives, y compris à l’échelle européenne. Certains craignent « la dictature de la transparence », quand le simple citoyen, lui, est déjà filmé et surveillé pratiquement 24h sur 24 sans qu’il s’en préoccupe tellement.
 
Je crois qu’ils se trompent. Les plus âgés d’entre nous (les vieux: ceux qui ont plus de 15 ans) se souviennent encore, pour peu qu’ils en fassent l’effort, de ce qu’était la vie privée au milieu des années 90. Nous ne mettions nos CV à jour qu’entre deux jobs. Notre quotidien n’était partagé que par quelques très proches. Nos photos de vacances n’étaient disponibles qu’à ceux à qui nous infligions des soirées diapos.
 
Il suffit de se replonger, quelques secondes, dans le monde tel qu’il était il y a une quinzaine d’année pour voir à quel point notre notion de l’intimité a évolué. Il suffit aussi de voir que ceci s’est fait quasiment sans heurt pour penser – comme moi – que tout continuera à évoluer dans le même sens, et sans grande résistance. Je me souviens du peu de réactions, à cette époque, lorsque la RATP annonçait la mise en place de caméras de surveillance sur tout son réseau « pour assurer la protection des voyageurs ». Je me souviens que la disparition du terme « vidéosurveillance » au profit de celui de « vidéoprotection » s’est faite sans résistance, ou presque. Je me souviens de la faible médiatisation des « Big Brother Awards ».
 
Vous croyez que le scandale de PRISM va faire prendre conscience du danger au public ? Vous croyez qu’il va boycotter Apple et Facebook à cause de la NSA ? Je dis que vous vous trompez, que ce qui est vrai pour ceux qui étaient déjà convaincus ne l’est pas pour la vaste majorité des gens, et que la vague médiatique n’aura qu’un effet très temporaire. Qui se souvient d’Échelon ?
 
Dans les villages préindustriels, chacun savait à peu près tout de la vie de ses voisins: eh bien nous sommes aujourd’hui entrés, de ce point de vue aussi, dans l’ère du village global.
 
Un monde dans lequel chacun sait tout sur tout le monde, en permanence, et dans lequel chacun l’accepte comme une chose assez naturelle. Comme si, finalement, la notion même de vie privée n’avait été qu’une parenthèse de l’histoire des débuts de la société industrielle.
 
Mais ce qui est vrai pour le simple citoyen l’est aussi pour les corps constitués.
 
Je crois que la prise de conscience de ce fait a commencé avec les révolutions arabes en 2011. L’influence des révélations de Wikileaks, bien sûr, a montré particulièrement clairement à tous les gouvernements du monde que leurs petits secrets, leur petites et leurs grandes corruptions désormais potentiellement accessibles à tous, pouvaient amener les populations à se rebeller. Mais au delà de ce point, j’ai déjà expliqué qu’à mon avis la seule exposition publique de la richesse des pays occidentaux, exhibée comme jamais par les sites marchands à l’échelle internationale, avait de quoi pousser les peuples les plus pauvres à revendiquer leur part (et ceci est d’autant plus vrai dans le cas des pays dont la monnaie n’est pas convertible et dont les citoyens ne peuvent, du coup, pas faire d’achats en ligne au delà de leurs frontières: pour eux les monnaies virtuelles transnationales telles que le bitcoin pourraient constituer une vraie opportunité). Quand le 1er ministre Turc dénonce Twitter comme étant « une menace sur la société », il parle en réalité d’une menace sur son pouvoir.
 
Un autre signal fort a été la mobilisation autour d’ACTA, non seulement par son ampleur et ce qu’elle a démontré de l’implication des gens quant à l’enjeu des libertés numériques mais aussi du fait qu’un document de travail – prévu pour rester confidentiel – a été à l’origine de cette mobilisation: les tractations secrètes entre États devenaient un sujet de débat politique, premier coup de couteau dans de la transparence dans le milieu très feutré de la diplomatie internationale qui en annonce d’autres, je crois.
 
La transparence.
 
Parallèlement, en France, les « affaires » se font légion. Une promesse faite en ligne sur Twitter, et jamais tenue, concernant les tunisiens exilés du « 36 rue Botzaris » a, sinon fait perdre les élections à François Hollande, au moins montré ce que valait sa parole: pour une fois un homme politique n’a même pas eu besoin d’attendre son élection pour renoncer à ses promesses. Une conversation privée entre une vieille dame et son majordome, publiée par un journal en ligne, a lancé l’affaire Bettencourt. L’enregistrement d’un téléphone, lui aussi disponible en ligne, a causé la démission d’un ministre.  Les « offshore leaks » ne font que commencer à faire parler d’elles. L’activité des députés est monitorée en permanence, les déclarations des politiques sont archivées, publiques, et ressorties en temps réel pendant qu’ils affirment l’inverse à la télé.
 
Les débats de nos assemblées sont diffusées en ligne, en direct, et comme tous les directs ils sont commentés sur les réseaux sociaux. L’expérience Hadopi a permis a toute une génération de jeunes activistes de comprendre les enjeux, les méthodes et – disons le – la bêtise du législateur. Les débats sur le mariage pour tous, eux aussi suivis en temps réel – y compris la nuit – laisseront, eux aussi, quelques traces dans la mémoire citoyenne. Certains de nos parlementaires utilisent déjà cette transparence nouvelle pour tenter d’influencer les luttes politiques, au point qu’il a été question d’interdire l’utilisation de Twitter par les députés durant les séances publiques.
 
Et ça ne fait, là aussi, que commencer.
 
Et au delà même des sphères politiques et privées, on peut déjà voir les effets du début de la révolution numérique et de la transparence qu’elle impose à tous dans tous les domaines.
 
Toute la société est touchée. Les produits, mais aussi leurs commerçants sont évalués publiquement par les clients, les abus dénoncés – et très souvent amplifiés – par les réseaux sociaux. Un avocat vous menace sans raison pour obtenir le retrait d’une information dérangeante ? Dites-le sur Twitter et constatez les dégâts pour lui et son client: le phénomène du « bad-buzz » est en train gentiment de rétablir un équilibre depuis longtemps rompu entre la grande entreprise et le simple citoyen. Tout un métier (les « community managers ») est désormais largement basé sur cette communication de crise devenue permanente: ce n’est pas pour rien que les services de veille en ligne et d’e-réputation sont en pleine croissance.
 
Le site Copwatch, tout discutable qu’il est, préfigure la surveillance généralisée de ceux qui nous surveillent.
 
Même le monde plus que discret de l’économie commence à basculer. Les paradis fiscaux se défont du secret bancaire, les mécanismes les plus abscons (HFT, évasion fiscale) sont exposés en plein lumière. Le crowdfunding permet de financer des projets dont la finance classique ne voulait pas. Et là encore, nous n’en sommes qu’au tout début.
 
La vraie transparence…
 
Il faut imaginer ce que sera notre société quand d’un simple clic on pourra visualiser les flux d’argent public, à tous les niveaux de l’administration du local à l’international. Quand on pourra remonter au vote qui a décidé l’attribution de telle ou telle subvention, telle ou telle dépense. Quand des bidouilleurs en tireront des tableaux, clairs, posant les problématiques et montrant les évolutions dans le temps. Tout ça à partir de données publiques déjà existantes.
 
Il faut l’imaginer quand on ajoutera à ça les couches logicielles permettant de participer aux débats, de donner son avis.
 
Il faut imaginer le crowdsourcing à l’échelle d’une ville, d’une région, d’un pays.
 
La transparence est déjà là. Elle est partout, et elle est contagieuse. Oui, Internet change les choses. Oui, notre rapport au monde change en parallèle, et oui, entre autres changements de société, il y a de très bonnes chances qu’on y perde presque totalement notre vie privée. Je suis pour ma part certain que nous nous y adapterons sans difficulté, mais, oui, c’est de la faute au Net.
 
Et oui, à bien des égards, nous vivons aujourd’hui dans la société décrite par Georges Orwell en 1949 dans « 1984 ».
 
Mon auteur de science-fiction préféré, John Brunner, a publié en 1975 un roman qui à mon sens est la meilleure réponse jamais faite à Georges Orwell. C’était « Sur l’onde de choc » (Shockwave rider). Ces deux romans étaient prophétiques, mais le second (non content d’inventer l’ordinateur personnel, le virus informatique et la notion même de pirate informatique) expliquait aussi que dans une société de surveillance généralisée, soumise à un pouvoir largement corrompu, totalement informatisée et dans laquelle le citoyen était soumis en permanence à la publicité invasive, le salut pouvait passer par le fait de tout rendre public.
 
Sa morale, je crois, est celle-ci: les secrets des simples citoyens n’ont au final que peu d’importance, mais ceux des puissants en ont beaucoup. Si nous devons échanger notre vie privée contre la transparence totale de ceux qui nous surveillent et de ceux qui nous gouvernent, alors peut-être n’est-ce pas nous qui aurons le plus à y perdre. Il est temps, je crois, de renvoyer enfin le vieil argument « si vous n’avez rien à cacher, alors vous n’avez rien à craindre » à l’envoyeur : « quand vous n’aurez plus rien à cacher au peuple, alors vous n’aurez plus rien à craindre du peuple ».
 
Et merci à Slim Amamou (lui aussi un ancien ministre) de m’avoir fourni la conclusion.
 
(Article issu de la présentation de Laurent Chemla à Pas Sage en Seine 2013)

http://reflets.info/laurent-chemla-je-vous-ai-menti/
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