Pour commencer, je vous propose de lire ce passionnant article-interview retranscrit lors du dernier Angouleme no matsuri :
http://mathieu.lagreze.free.fr/angouleme_2006/TRADUIRE_MANGA.htmlCitation Personnellement, je suis absolument contre les traductions japonisantes, qui consistent a laisser des particules -san ou -sensei, des tadaima ou bien encore des baka dans les VF. Il faut je pense faire un réel travail d'adaptation. En gros je suis très de "droite" à ce niveau là, très "album manga". Et pas du tout Rue Keller' spirit...
http://mathieu.lagreze.free.fr/angouleme_2006/TRADUIRE_MANGA.html
TRADUIRE UN MANGA
Date : 26 janvier 2006
Invités : [1]
- Dominique Véret (Akata/Delcourt)
- Grégoire Hellot (Kurokawa)
- Xavière Daumarie (traductrice chez Génération Comics [2] )
- Frédéric Guyader (adaptateur [3] )
Il me semble intéressant de faire remarquer dès maintenant que sur les 4 invités seuls Xavière Daumarie et Grégoire Hellot savent parler japonais. [4]
Animateurs : ?
L'intitulé de cette rencontre la présentait comme une occasion de répondre à la « question polémique : les mangas ont-ils aujourd'hui les traductions qu'ils méritent ? ». Il s'agissait donc bien plus d'une rencontre-débat que d'une conférence. Les animateurs n'ont pas vraiment encadré les débats, ce qui explique que les intervenants sont un peu partis dans tous les sens (du moins c'est ce qui ressort des notes et souvenirs qui me restent).
C'est pourquoi j'ai décidé arbitrairement de rédiger ce compte-rendu en classant les interventions dans 5 thèmes, sans forcément respecter leur enchaînement réel. Dans la mesure du possible, les enchaînements seront toutefois indiqués.
Les 5 thèmes que j'ai défini sont les suivants :
1. Les fans et les traductions/adaptations de mangas (ou les fanboys/girls en prennent plein la gueule)
2. La non-polémique : oui, le manga mérite d'être mieux traduit
3. La polémique : l'adéquation oeuvre / traducteur
4. La méthode Kurokawa
5. Un peu de technique (ou je ne savais pas où le mettre...)
retourner au sommaire 1. Les fans et les traductions/adaptations de mangas (ou les fanboys/girls en prennent plein la gueule)
Le sujet était en fait lancé par un des animateurs juste après l'intervention de F.G. sur le métier d'adaptateur et donc après les premières interventions sur la médiocre qualité des traductions de mangas.
Il évoquait son impression que pour beaucoup de lecteurs, il faut garder les termes japonais comme les suffixes de politesse (-san, -kun etc.), voire même des mots comme baka (idiot, crétin) ...
F.G. racontait alors que déjà à l'époque où il travaillait pour Tonkam, il recevait des lettres d'insultes au sujet des traductions. Il pensait que c'était un fantasme de fan et il répondait toujours que si on voulait avoir tous les termes japonais il fallait aller lire la VO.
L'autre animateur se demandait alors si ces plaintes des fans ont une influence sur les traductions.
G.H. poursuivait au sujet des termes japonais du type baka ou -sensei (~ professeur, maître) et de leur possible maintien dans une version française. Il expliquait que ces termes ou expressions sont ce que comprennent les fans qui ne parlent pas japonais [5] . Quand on n'inclut pas ces termes, on enlève donc à ces fans cette simple connaissance de la langue japonaise.
D.V. répondait pour sa part à la question de l'animateur en affirmant qu'il n'attache aucune importance à ce que disent les « gamins ». Il le prend comme une information mais il ne le respecte pas forcément. [6]
G.H. reprenait la parole pour dire que les demandes des fans tournent parfois au « stupide ». Il citait pour exemple les réactions aux niveaux de langage dans la traduction française de Full Metal Alchemist. Il racontait avoir reçu des mails d'un cinquantaine d'« extrémistes » le premier mois de publication des 2 premiers tomes [7] . Il avait alors rédigé un mail type, avec des extraits du texte original, pour leur répondre plus rapidement et de manière automatique !
Il évoquait également l'habitude des scanlation chez les fans. Or ces scanlation sont des traductions amateur, souvent peu adaptées, parfois issues de multiples traductions successives [8] . Les fans sont donc habitués à des traductions peu travaillées et parfois erronées.
X.D. faisait alors remarquer que certains traducteurs amateurs ont un bon niveau et qu'elle est parfois plutôt impressionnée. Mais elle reconnaissait aussitôt qu'effectivement les scanlation sont aussi parfois très mauvaises.
G.H. enchaînait pour expliquer le principal problème selon lui : la première lecture devient la normalité pour les fans. Comme ils sont ensuite habitués - et font confiance - à la traduction qu'ils ont lue en premier, ils sont prompts à croire que les traducteurs français se trompent ou font mal leur travail. Il citait comme exemple les problèmes de transcription des noms propres non-japonais : leur transcription est parfois complètement littérale (i.e. les syllabes japonaises, qui sont une retranscription phonétique du nom d'origine, directement transcrites en alphabet latin), voire erronée dans les scanlation. Or quand un traducteur retranscrit le nom à partir de la phonétique japonaise dans son écriture correcte, les fans se braquent parce qu'ils sont habitués à un autre nom [9] . Au point que ça en devient « aberrant » parfois; comme par exemple quand des fans se plaignent de voir un personnage dire « Venez ! » parce qu'ils préfèreraient voir « Allons-y ! » (correspondant au « Let's go ! » de la scanlation américaine qu'ils ont lue) [10] .
X.D. ajoutait qu'en plus « ils se trompent ! » Comme exemple, elle racontait avoir reçue d'une jeune fille une longue liste d'erreurs supposées dans sa traduction de Sayuki. Or toute la liste était fausse. Elle avait alors répondue en expliquant chaque point, VO à l'appui. Mais la jeune fille n'avait pas voulu la croire!
G.H. concluait cette partie en expliquant que certains fans « regardent » (« regarder », par opposition à lire) la VO. Et qu'ils se font alors une idée de l'histoire, des personnages... basée sur les images. Quand ils lisent la version française après, ils sont déçus parce que l'histoire, le caractère des personnages, leur manière de parler... ne correspond(ent) finalement pas à l'idée qu'ils s'en étaient fait.
Après cette intervention, le débat enchaînait directement sur la partie "La polémique".
retourner au sommaire 2. La non-polémique : oui, le manga mérite d'être mieux traduit
D.V. affirmait dès le début du débat qu'en réalité le niveau de traduction et d'adaptation des mangas en Fance est très moyen. Très "rentre-dedans", il disait plus tard que « 60-70% de ce qui se fait, c'est de la merde » et qu'il « ferait mal [son] travail si il pensait autrement » [11] .
Il expliquait ensuite que Delcourt a cette année des titres « ambitieux » à publier, entres autres des oeuvres des années 60/70 [12] . Et qu'il y a de grosses inquiétudes quant à leur traduction.
X.D. expliquait qu'au début de l'édition de manga en France, des étudiants en deuxième voire en première année de japonais en Fac étaient recrutés pour la traduction. Forcément la qualité n'était pas au rendez-vous. Elle pense donc que le niveau actuel est finalement de la responsabilité des éditeurs.
D.V. renchérissait alors en affirmant qu'il est parfaitement connu que le niveau est moyen et que les causes en sont économiques. Il expliquait alors que certains traducteurs doivent faire jusqu'à 5 volumes de shounen par mois...
X.D. réagissait à cette affirmation pour dire que la qualité des traductions ne dépend pas du nombre d'oeuvres traduites simultanément mais de leur difficulté !
D.V. se défendait alors en disant qu'il préférait parler des gekiga et des seinen, pas trop des shounen, évidemment plus faciles à traduire.
G.H. faisait aussi remarquer (plus tard dans la conférence) qu'il est difficile pour l'éditeur, celui qui embauche les traducteurs pourtant, de juger de la qualité des traductions quand il ne parle pas japonais. Ce qui est le cas la plupart du temps [13] .
Il expliquait également que les traducteurs de langue anglaise ont un parcours bien plus encadré que ceux de manga. La traduction de manga a d'abord été une « aventure ». A l'époque des premières éditions de manga en France, les traducteurs "littéraires" de japonais ne voulaient pas travailler sur des mangas. Donc il a fallu trouver d'autres gens pour traduire. Et cette mise en place de la traduction de mangas s'est faite de manière « aventureuse ». Il exliquait que finalement ces gens ne sont pas devenus traducteurs mais « traducteurs de mangas ».
Un des animateurs expliquait alors que pour beaucoup de langues étrangères un modèle de traduction a émergé au fil du temps (et des traductions). Ce "modèle" reflète en fait les préférences des lecteurs en terme de traduction. Mais ce modèle n'a pas émergé [14] pour le japonais. C'est d'ailleurs la même chose pour la langue russe [15] . Le public ne sait pas trancher entre une "bonne" et une "mauvaise" traduction, autant de manière objective (pas de faux-sens...) que subjective (les « préférences » évoquées précédemment) . Donc on peut toujours hésiter entre une traduction très "technique" (et donc littérale) ou "avec le c½ur" (donc très adaptée), sans savoir laquelle est préférable, pour le public.
Il évoquait aussi, comme G.H. précédemment, le problème qu'ont beaucoup d'éditeurs pour évaluer la qualité de leurs traductions japonaises.
C'est après cette intervention, que G.H commençait à évoquer"la méthode Kurokawa".
A la suite d'un aparté sur la traduction des jeux vidéo, G.H affirmait de plus que de toute façon la traduction, tout comme le doublage, n'est pas prise au sérieux.
D.V. répondait qu'il trouvait bizarre de dire ça. Parce que chez Delcourt on ne supporte plus ce genre de chose.
G.H. rétorquait alors que c'est pourtant vrai. Puis il expliquait qu'il préfère faire de la qualité dans son coin. Il est sûr que le public finira par s'en rendre compte.
Un animateur faisait alors remarquer que depuis des années que des gens lisent du manga, ils devraient déjà être capables de discriminer la qualité.
G.H. répondait qu'en fait les lecteurs sont habitués à faire des efforts pour lire des mangas. Ils ont donc un niveau élevé d'exigences techniques (format, impression etc.). Mais ils ne l'ont sur la qualité de la langue française utilisée dans les traductions.
D.V. revenait à plusieurs reprises sur les raisons économiques du manque de qualité. Il se plaignait finalement d'une « hystérie économique », une pression éditoriale pour sortir toujours plus de livres plus vite. Ce qui fait qu'il n'y a pas toujours le temps de vraiment bien faire. Il revenait également sur le sujet de cette « pression éditoriale » à la toute fin du débat. Il expliquait que lorsqu'un contrat d'édition est signé, il y a un délai maximum pour éditer le(s) volume(s) concerné(s). C'est un autre exemple de pression temporelle [16] qui s'exerce sur l'édition de manga. Il y a tout un ensemble de pressions économiques qui s'exercent sur le coût de l'édition française et donc de la traduction.
Il ajoutait qu'il faut aussi pouvoir bien payer ses traducteurs si on veut de la qualité : « si le traducteur/adaptateur est inquiet pour son loyer, il va foirer le livre ! »
Un animateur concluait donc qu'il y a un sorte de statu quo au sujet de la perfectibilité des traductions [17] . Mais ce manque de qualité pourrait être un sérieux problème si on veut s'ouvrir à un public plus adulte et plus cultivé (qui lui ne se contentera certainement pas de versions françaises, littérales, pleines de termes japonais inutiles...) .
Eh bien voilà. La « question polémique » accouchait finalement d'un gentil consensus. Plutôt décevant donc.
On peut par contre se réjouir que les éditeurs et traducteurs/adaptateurs soient manifestement conscients et convaincus qu'ils PEUVENT mieux faire. On attendra donc avec impatience qu'ils se convainquent qu'ils DOIVENT mieux faire et qu'on puisse en voir les résultats dans les mangas édités.
retourner au sommaire 3. La polémique : l'adéquation oeuvre / traducteur
LA polémique du débat était lancée par D.V. juste juste après la conclusion de la partie "Les fans et les traductions/adaptations". Elle concernait l'adéquation (supposée nécessaire par D.V.) entre le traducteur et l'oeuvre qu'il traduit.
Il commençait par raconter que Delcourt avait eu des problèmes avec l'adaptation de GoGo Monster de Matsumoto Taiyou. La première version était trop technique et manquait de « poésie ». Elle ne convenait pas, à son goût, à GoGo Monster qui est selon lui une histoire autobiographique. D.V. expliquait que bien que le traducteur/adaptateur soit « connu » [18] , il n'avait pas de ressenti de la culture japonaise. F.G a donc dû retravailler le texte.
A partir de là, D.V. démarrait une diatribe extrêmement polémique [19] qui tentait d'expliquer que, selon lui, n'importe quel traducteur ne peut pas traduire n'importe quel manga. Il doit avoir le vécu, la culture, le ressenti... nécessaire. Manifestement très "rentre-dedans" il exposait deux exemples (de nature à marquer les esprits...) :
- le premier concernait la difficulté à retranscrire l'onomatopée de la sodomie
(qui apparaît dans la scène de viol du premier volume de Coq de Combat.) ;
- le deuxième évoquait la traduction de Mari Okazaki, que D.V. considère manifestement comme nécessitant un certain « vécu »...
En fait, il expliquait en gros qu'une « gentille fille » qui a eu une vie normale ne saurait pas bien traduire Mari Okazaki, parce qu'elle [20]
n'aurait pas le ressenti nécessaire. Ou pour résumer avec ses propres paroles (ou presque) : « si elle ne s'est jamais touchée, comment tu veux
qu'elle traduise [Mari Okazaki] correctement ! ». [21]
Il concluait par une mise en garde envers les différences qui peuvent exister entre « la culture du traducteur et celle du bouquin » et qui peuvent dégrader la traduction.
X.D. n'était pas vraiment ravie par l'intervention de D.V. [22] . Elle manifestait d'ailleurs son désaccord tout du long de cette intervention. Elle défendait le métier de traducteur en opposant à D.V. le fait qu'un traducteur peut toujours (voire doit) faire des recherches et se documenter pour compenser ses possibles lacunes quant aux sujets abordés par l'oeuvre à traduire.
Mais D.V. pense lui que c'est vraiment un problème de « ressenti » pas de connaissance. « Il faut l'avoir vécu ! », la documentation ne suffit pas.
X.D. exprimait encore son profond désaccord. Parce que ce genre de thèse revient à dire par exemple qu'un acteur ne peut jouer que ce qu'il a vécu [23] ...
D.V. évoquait ensuite l'arrivée en France du gekiga et de mangas plus littéraires, crées par des auteurs plus cultivés. Ces titres sont donc plus complexes à traduire. Il citait 2 titres: Onmyouji [24] , qui va paraître chez Delcourt et GeGeGe no Kitaro [25]. Selon lui, ces titres du fait de leur fort contenu culturel ne sont « pas traduisibles par n'importe qui » [26] .
Encore une fois, X.D. manifestait sa désapprobation. Parce que selon elle les explications de D.V. impliquaient qu'elle soit incapable de traduire n'importe quel manga, et donc a fortiori ceux sur lesquels elle travaille / a travaillé. Elle opposait encore aux arguments de D.V. la possibilité (voire l'obligation) qu'a tout traducteur de se documenter au sujet du manga (et des sujets/thèmes qu'il aborde) sur lequel il travaille.
Elle faisait également remarquer que l'attitude de D.V. était peut-être réductrice, parce qu'elle revenait en quelque sorte à « formater » les traductions d'Akata, suivant son « ressenti » [27] .
F.G. intervenait alors, en tant qu'adaptateur travaillant depuis longtemps avec D.V., pour répondre à la dernière remarque de X.D.. Il expliquait qu'il avait adapté les 11 premiers volumes de Fruit Basket et qu'il avait dû se battre avec D.V. pour faire accepter sa version. Preuve qu'il ne formate pas forcément les traductions chez Akata. Il nuançait ensuite les affirmations précédentes de D.V. en affirmant être persuadé de pouvoir à peu près tout adapter. Mais il mettait aussi en garde contre une manière trop « technique », sans ressenti, de traduire/adapter.
X.D. affirmait penser quant à elle qu'un traducteur peut « à peu près tout traduire ». Il n'y a pas de problème de connaissances ou de ressenti qui soit irrémédiable. Elle ajoutait toutefois qu'un traducteur a toujours la possibilité (voire l'obligation) de refuser des oeuvres dont il ne maîtriserait pas le sujet ou avec lesquelles il ne "collerait" pas.
D.V. évoquait alors Magic (un one-shot de Reiko Shimizu à paraître chez Delcourt. Il est composé de 2 nouvelles.). La première nouvelle, qui donne son nom au volume, traite d'un homme qui va être amoureux de sa fille et de la mère de sa fille par une sorte de « voyage dans le temps ». D.V. expliquait que la première traductrice avait « filtré » tout ce qui touchait au thème de l'inceste dans l'histoire. Parce que son « éducation » l'avait conditionnée à rejeter l'inceste. [28]
X.D. répondait alors qu'il s'agit plutôt d'un exemple de manque de professionnalisme. Le traducteur est responsable vis à vis de l'oeuvre. Il doit la respecter, quoi qu'il pense de sa qualité. Il s'agit donc d'un problème de professionnalisme, pas de traduction : la traductrice aurait dû refuser Magic et pas mal le traduire.
Il faut avouer qu'un peu de polémique (et d'animation) faisait du bien dans un débat jusque là assez consensuel. Dommage que l'extrémisme de D.V. ait rendu le sujet de la polémique assez peu crédible.
Je tiens aussi à rassurer les lecteurs : malgré des échanges assez animés, D.V. (qui, avouons-le, semble être un bon bougre malgré sa grande gueule) et X.D. se sont quittés plutôt en bon termes. D.V. s'avouait même impressionné par la combativité et l'opiniâtreté de X.D..
Bien sûr je ne parierai pas sur le fait que X.D. aille un jour travailler pour Akata...
retourner au sommaire 4. La méthode Kurokawa
Après l'aparté sur la traduction des jeux vidéo, G.H. expliquait que la "méthode Kurokawa" c'est faire des éditions de qualité « dans son coin ». Il est sûr que le public finira par s'en rendre compte.
Il expliquait déjà plus tôt dans le débat que la piètre qualité des traductions est un « problème de méthode ». Il pense que traduire c'est trahir de toute façon :
on trahit toujours l'oeuvre traduite, donc quitte à la trahir, il vaut mieux trahir la forme et pas le fond [29] . Il rappelait aussi que bien souvent la qualité moyenne des traductions/adaptations est due à un problème de niveau en langue française ! Certains traducteurs connaissent à la limite plus de vocabulaire en japonais qu'en français. Il réaffirmait donc que pour bien traduire/adapter il faut déjà et surtout bien maîtriser le français.
Il expliquait aussi que certaines traductions effacent complètement tous les accents, les tics de langage... des personnages. Ce qui revient à effacer leur personnalité. Il affirmait que dans pas mal de mangas, notamment les shounen, les personnages ont chacun leur manière de parler. Et si on voyait seulement les dialogues, sans les images correspondantes, on pourrait quand même identifier qui parle. Ce qui n'est pas possible avec nombre de traductions. Comme exemple, il citait Full Metal Alchemist (comme FMA, tous les titres que G.H cite dans la suite sont édités par Kurokawa) où Edward le grand frère parle plutôt grossièrement et son petit frère Alphonse parle de manière plus châtiée. Or Edward est un « petit nabot » alors que Alphonse est dans une énorme armure, ce qui est source d'humour. Et qu'il a donc fallu conserver dans la version française. [30]
Il citait aussi l'adaptation en français de l'accent/dialecte d'Osaka. Il ne suffit pas de faire dire des « peuchère » [31] en français à un personnage qui parle avec l'accent d'Osaka pour que l'adaptation soit réussie. Par exemple, dans Azumanga Daioh, il y a un personnage (Osaka) qui vient d'Osaka et qui parle avec l'accent de sa ville d'origine. C'est un personnage qui dit souvent des choses étranges et/ou incompréhensibles. Donc pour l'adaptation française il a été choisi (par Kurokawa, l'éditeur de la version française) de la faire parler de manière étrange, parce que c'est en accord avec le personnage, plutôt que simplement la faire parler en marseillais.
C'est après cette intervention que démarrait l'aparté sur la traduction des jeux vidéo
G.H. parlait ensuite de Kimi Wa Pet. Ce titre est traduit par un couple (Denis et Kazuko Sigal), ce qui est intéressant parce qu'il y a à la fois une vision masculine et féminine, et le mari est professeur de français. Donc il maîtrise bien la langue française.
Mais en plus, G.H. lui a fait lire la presse féminine pour qu'il assimile le vocabulaire des jeunes femmes actives, dont font à la fois partie l'héroïne et les lectrices visées par la série [32] .
D.V. expliquait alors qu'il était très « content » de ce que disait G.H.. En effet, Delcourt a utilisé le même genre d'« accompagnement » de la traduction sur Yakitate Japan (qui parle de pain) : un vrai boulanger a été consulté et a aidé pour obtenir une traduction/adaptation exacte [33] .
G.H. faisait alors remarquer que ce genre de pratique n'est pas totalement nouveau. Par exemple, cela a déjà été fait pour la série télé Urgences. Il y avait un vrai médecin urgentiste pour vérifier les traductions. Et cela donne une vraie crédibilité à la traduction. G.H. pense que pour une bonne traduction, il faut rechercher le traducteur qui va bien et la bonne documentation.
G.H. parlait ensuite de Kamiyadori, un titre SF à sortir chez Kurokawa. Il racontait que pour aider le traducteur à qui il avait confié la série, il lui avait conseillé de regarder les Mad Max. Parce que la VF des Mad Max (avec ces protagonistes typique de la SF des années 80) correspond bien à qu'il imagine pour la version française de Kamiyadori.
A partir de là, G.H. expliquait qu'il pense que son rôle est d'accompagner et d'aiguiller ses traducteurs sur la manière de traduire/adapter les séries qu'il édite. Il reconnaissait toutefois que ce système n'est possible que parce qu'il lit lui-même le japonais.
X.D. régissait pour dire qu'elle trouve cette méthode « admirable », mais que le traducteur/adaptateur devrait se documenter de son propre chef. Il ne devrait pas avoir besoin de l'aide de son directeur éditorial.
G.H. répondait qu'il préfère « prévenir que guérir ». Et qu'il veut donc donner à ses traducteurs/adaptateurs les moyens de bien travailler avant même de commencer la traduction [34] . Parce qu'il préfère cela à les renvoyer tout refaire après avoir découvert une première version de la traduction qui ne lui convient pas.
J'ai rassemblé dans cette partie toutes les explications de G.H. sur la traduction/adaptation et la manière dont elle sont "pratiquées" chez Kurokawa.
Je trouve cette partie doublement intéressante. D'une part parce qu'on y trouve des anecdotes sur le fonctionnement de Kurokawa en ce qui concerne les traductions/adaptations. Et d'autre part parce que G.H. y démontre de manière éclatante son professionalisme.
retourner au sommaire 5. Un peu de technique (ou je ne savais pas où le mettre...)
F.G. et l'adaptation :
F.G. racontait qu'il travaille dans l'adaptation depuis 15 ans, avec D.V.. Il a commencé avec Vidéo Girl Aï (chez Tonkam) et a fait depuis environ 450 livres chez entres autres Tonkam, Pika, Panini (cf. [3])... Il expliquait que les premiers traducteurs avec lesquels il a travaillé étaient japonais, mais que la traduction de manga (voire la traduction tout court ) n'était pas leur métier. Ainsi le traducteur de Vidéo Girl Aï fait maintenant des articles de pêche! F.G. expliquait ensuite son « concept », sa méthode de travail : le traducteur japonais donne une traduction, avec son « feeling » de Japonais. F.G. ne parle pas japonais, donc il travaille juste sur le texte français [35] . Il considère l'adaptation comme très importante parce qu'elle agit comme un pont entre 2 cultures. Sa principale motivation est d'être fidèle à l'esprit de l'auteur, de l'oeuvre (mais pas à sa forme). Il se sent au service de cet auteur et obligé par un devoir d'honnêteté.
A la demande d'un animateur qui voulait des précisions sur le travail d'adaptateur, F.G. continuait sur sa lancée. Il précisait qu'il trouve intéressant de travailler en tandem avec un (traducteur) japonais, parce qu'il lui apporte une vue japonaise.Il expliquait ensuite que dans son travail d'adaptation, il accordait beaucoup d'importance au travail sur les dialogues, sur la dynamique des textes.
Après cette intervention, le débat enchaînait sur la partie "Les fans et les traductions/adaptations".
Aparté jeu vidéo :
Après que G.H. ait évoqué l'adaptation de l'accent d'Osaka, F.G. affirmait alors que le même problème d'adaptation se présente sur les jeux vidéo. Et il citait l'adaptation française du jeu vidéo Dynasty Warriors où certains personnages chinois du sud parlent avec l'accent marseillais.
G.H. répondait d'abord que si effectivement il est ridicule d'entendre un chinois avec d'énormes moustaches parler en marseillais, il trouvait ça très marrant et « culte ».
Puis il expliquait qu'il s'agit d'un réel problème économique dans le cas des jeux vidéo. En fait, la technique de traduction d'un jeu vidéo est spéciale. Il est traduit pendant son développement. Ce qui implique que la traduction doit se faire à partir de listes de mots et de scripts de dialogues, la majeure partie du temps sans aucune image. Parfois ces scripts ne sont même pas les textes originaux: par exemple, Final Fantasy VII a dû être traduit à partir des scripts américains. Forcément tout cela n'aide pas à faire de la qualité.
par Mathieu LAGREZE
[1] Patrick Honnoré et Vincent Zouzoulkovsky initialement annoncés n'étaient finalement pas présents. D.V. et G.H. étaient restés de la précédente conférence : "Le Marché du Manga".
[2] Elle a travaillé sur, entre autres, Najica, Mars, Planètes, Peach Girl, des Oh Great, Alichino, Banana Fish, Angel Heart, Ken - Fist of the Blue, Ragnarok, Saiyuki, Saint Seiya Episode G, Pincesse Kaguya, Kaze no Sho - le Livre du Vent ...
Elle est également connue pour être le seul contact pour les fans chez Génération Comics : elle a même un sujet à elle sur le forum de l'éditeur.
[3] Il a travaillé (sous son nom et sous plusieurs pseudos) sur, entre autres, une grande partie des titres de Clamp chez Tonkam et Pika / les Matsumoto Taiyou, Asatte Dance, Angel Sanctuary... chez Tonkam / Dragon Head, Tenchi Muyo... chez Pika / Kamikaze, Red Eyes... chez Génération Comics / Togari, Karakuri Circus, Fruit Basket... chez Akata.
Il est maintenant "Coordinateur éditorial manga" pour Delcourt (source : la page des contacts de Delcourt).
[4] A garder en mémoire par la suite afin de juger la pertinence et/ou crédibilité de certains interventions...
[5] Je me sens quand même obligé ici de faire remarquer, comme suggéré par G.H durant la conférence d'ailleurs, que cette compréhension est souvent parcellaire et/ou superficielle. Notamment sur les suffixes de politesse...
[6] Cette réponse très sûre de soi me semble un peu difficile à croire à 100% en voyant certaines adaptations, et changements d'adaptation, chez Akata. Mais après tout, Akata/Delcourt ne se résume pas à Véret...
[7] Ils reprochaient à la traduction de faire parler le héros de manière trop vulgaire et trop "djeunz rebelle". Or en japonais il parle effectivement de manière assez grossière et vulgaire... comme nombre de héros de shounen d'ailleurs. Mais encore faut-il le savoir bien sûr...
[8] Les "scanlation", traductions par les fans et pour les fans sont en effet souvent assez littérales. Mais après tout cela convient parfaitement à un travail amateur, consommés par des fans. Les traductions successives sont aussi courantes : de nombreuses équipes de scanlation françaises travaillent à partir de scanlation en langue anglaise et il n'est pas rare que les équipes anglophones travaillent à partir d'éditions coréennes ou chinoises de mangas.
[9] Il y a de nombreux exemples de transcriptions fantaisistes voir complètement fausses de mots non-japonais, soit parce que la transcription est complexe, soit parce que les traducteurs amateurs ne connaissent pas les mots dans leur langue d'origine (noms français complètement "massacrés" par des traducteurs américains par exemple).
G.H. utilisait pour exemple un personnage qui s'appellerait « Maurice ». En japonais son nom serait transcrit en « morisu » (dans l'alphabet phonétique katakana). Si les scanlation utilisaient Morisu mais que la traduction française utilisait Maurice, et bien les fans se plaindraient parce qu'ils sont habitués à Morisu. Même si il s'agit d'une erreur...
[10] L'exemple peut paraître incroyable. Mais il est sans doute véridique. Il y a vraiment un fan qui s'est plaint sur le forum de Tonkam au sujet de la traduction d'Hellsing en expliquant que à la place de « Dépêchons ! » il aurait mieux valu trouver « Allez ! » ou « Vite ! » ! Ai-je besoin de préciser que le fan en question ne comprenait strictement rien au japonais, n'avait même jamais vu la VO japonaise et basait ses critiques sur des scanlation américaines ?
[11] On pourra se demander combien de traductions de Delcourt/Akata sont inclues dans ces 60-70%...
[12] Il en avait parlé lors de la précédente conférence : " Le Marché du Manga". Les deux premiers titres sont a priori Kamui de Shirato Sanpei et Hikaru Kaze de Tatsuhiko Yamagami.
[13] Efectivement, à ma connaissance la plupart des responsables éditoriaux, directeur de collection... des éditeurs français de manga (surtout les "grands" et historiques: Glénat, Pika, Kana, Delcourt...) ne parlent pas japonais. On pourra également en déduire que finalement peu d'éditeurs lisent les mangas avant de les éditer.
Trois exceptions notables dont je suis sûr : Pierre-Alain Szigeti pour Soleil, Grégoire Hellot pour Kurokawa et Frédéric Boilet pour Sakka.
[14] ...pas encore ?
[15] ...et je suppose pour des langues peu et/ou récemment traduites comme le chinois etc.
[16] Il expliquait ainsi que ce délai oblige parfois Akata à commencer le travail de traduction avant même que les contrats soient signés.
[17] Je résume à ma sauce :
Les traductions pourraient être meilleures. Les éditeurs le savent. Mais ce n'est pas une priorité des lecteurs, qui de toute façon ne sont pas capable d'évaluer pleinement ces traductions. Donc les éditeurs s'occupent d'autres aspects de l'édition du manga. Et finalement toute le monde s'en contente voire y trouve son compte.
[18] Le traducteur/adaptateur de GoGo Monster est Vincent Zouzoulkovsky, traducteur et/ou adaptateur de nombre d'autres titres chez nombre d'autres éditeurs.
[19] En fait elle a surtout passablement énervé X.D. qui cumulait les inconvénients d'être la seule femme et la seule traductrice des invités. Lisez la suite vous comprendrez vite pourquoi...
[20] Effectivement, les mangas de Mari Okazaki ont jusqu'à présent été traduits et adaptés par des femmes pour Akata.
[21] Ce qui faisait demander à G.H. si « se toucher » fait partie des critères de recrutement des traductrices chez Akata. Une touche bienvenue pour détendre l'atmosphère à un moment où les esprits s'échauffaient un peu.
[22] C'est un doux euphémisme. Les exemples ne lui ont pas plu du tout (on la comprend...), pas plus que la thèse défendue.
[23] Effectivement, si on pousse la thèse exposée ici par D.V., on en vient à dire qu'un traducteur ne peut traduire que ce qu'il a vécu. Même si il semble évident que certains traducteurs travailleront mieux sur certains oeuvres pour des raison d'intérêt personnel, de connaissance, de vécu... la thèse extrême de D.V. est peu convaincante. En effet si on applique le même raisonnement aux auteurs, on en arrive à dire qu'un auteur ne peut raconter que ce qu'il a vécu. Ce qui discréditerait quand même en grande partie l'exercice du récit de fiction...
[24] Manga (récent) de Reiko Kano qui adapte les romans de Yumemakura Baku. La série met en scène Abe no Senmei, "astrologue" à la Cour Impériale du Japon au XIe siècle. Abe no Senmei est un personnage historique réel mais aussi une figure importante de la mythologie japonaise. Il apparaît de fait dans nombre de légendes et d'oeuvres de fiction japonaises.
[25] Manga d'horreur/comédie de Mizuki Shigeru très célèbre au Japon. Il date des années 60 (début en 1966).
[26] En effet Onmyouji traite de l'Onmyoudou, une cosmologie japonaise traditionnelle datant du 7e siècle.
GeGeGe no Kitaro met en lui en scène les Youkai, des créatures surnaturelles typiquement japonaises. Cf. le site de la récente exposition qui leur a été consacré à la MCJP.
On peut en effet penser que la traduction/adaptation des ces 2 titres nécessite une très bonne connaissance de la culture classique et/ou populaire japonaise. D.V. semble parler ici de pré requis "techniques" pour la traduction de certaines oeuvres, ce qui est déjà beaucoup plus convaincant que ses arguments précédents sur le « vécu » et le « ressenti ».
[27] On pourra effectivement s'interroger sur la légitimité de ce ressenti étant donné que D.V. ne parle pas japonais et donc ne le base pas sur une lecture préalable de l'oeuvre.
[28] Après une petite enquête, il semble que la situation sur la traduction de Magic soit bien plus complexe. Déjà le problème semble en fait ne pas concerner la traductrice, mais la première adaptatrice, que j'ai pu contacter. Cette dernière se défend d'avoir « filtré » quoi que ce soit, parce qu'il n'y avait finalement rien à filtrer selon elle. Par contre, Magic abordant les thèmes de l'inceste et de la pédophilie, elle a pris sur elle d'avertir l'équipe d'Akata/Delcourt pour qu'ils aient bien conscience, à l'avance, du contenu pas complétement anodin de l'oeuvre (ayant pu lire la nouvelle incriminée je me permets de parfaitement confirmer son opinion) . D.V. ne semble avoir apprécié ni cette démarche, ni l'adaptation et a donc choisi de faire refaire l'adaptation par une autre personne.
[29] De là découle l'importance du travail d'adaptation française. Il suffit de voir les versions françaises de Kurokawa pour s'en rendre compte.
[30] En dehors de la conférence, il a aussi parlé de la traduction française de Naruto (traduit lui chez Kana)... comme d'un exemple à ne pas suivre : tous les personnages parlent de la même manière. Toutes les différences de langages, de manière de parler etc. ont été gommées.
[31] L'accent marseillais est en effet souvent une solution utilisée pour rendre l'accent d'Osaka (ville située au sud de Tokyo) en français.
[32] Kimi Wa Pet - Au pied, chéri ! est un jousei, c'est à dire un manga pour (jeunes) femmes adultes. Mais quoi qu'il en soit G.H. vise plus particulièrement avec ce titre les jeunes femmes françaises actives. D'ailleurs il devrait bientôt en faire la promotion dans la presse féminine.
[33] Tonkam utilise aussi cette méthode : chaque traduction/adaptation de Hikaru no Go est validée depuis des années par une spécialiste du Go avant d'être remise à l'éditeur.
[34] Il ajoutait que cela inclut la fourniture des volumes de l'édition japonaise à ses traducteurs, avant même qu'ils commencent à travailler.
Cela peut sembler naturel mais tous les éditeurs ne le font pas. Après tout, fournir les scans et/ou les scripts des volumes japonais suffit pour que le traducteur puisse faire son travail. Mais on peut aussi se dire qu'une lecture de plusieurs volumes de la série (voire de la série complète quand c'est possible) au préalable ne peut qu'améliorer la qualité de la traduction.
[35] C'est la définition même de l'adaptateur : il travaille le texte français fourni par le traducteur...
On pourra peut-être regretter qu'il n'ait pas accès au texte original pour éviter des erreurs... ou s'en réjouir parce qu'il peut alors se concentrer sur l'adaptation en langue française sans interférence avec le travail du traducteur.
Remerciements : Hervé et Manu pour les relectures; Du9 pour les idées de mise en page; Manu (encore) et L.T. pour l'aide avec HTML et CSS; Hervé (encore) pour l'aide (et les ragots ;-)) sur le milieu impitoyable de l'édition de manga en France; Google...
Avertissement : le compte-rendu ci-dessus est issu de mes souvenirs et notes de la conférence. Même si il se veut le plus fidèle possible, il n'est vraisemblablement ni exact, ni complet à 100% . N'hésitez pas à me signaler toute erreur ou oubli !
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Crée le 01/03/2006 - Mis à jour le 05/03/2006
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