Re: Le Japon : La preuve par l'image !
Reply #194 –
Ca fait plaisir un tel enthousiasme!
Deuxième partie de mon récit sur les rives de la rivière Sumida. Nous sommes toujours le 17 février, il fait toujours gris et la pluie menace encore de tomber… Les oiseaux chantent, mais comme je longe une voie expresse, je ne risque pas de les entendre…

La suite de ma promenade a consisté en la descente depuis Mukojima jusqu’à l’île de Tsukishima des rives de la Sumida. C’est un parcours que j’ai fait maintes et maintes fois en bateau, mais jamais à pied. Les rives ne sont pas toujours aménagées entièrement, et il faut souvent alterner rive Est et rive Ouest, mais cela permet de mieux observer la vie des clochards qui peuplent les lieux, et de comprendre l’imbrication architecturale que les urbanistes nippons – visiblement prêts à ne reculer devant rien pour maximiser l’espace – ont réalisé.
Pourtant, les rives de la Sumida n’ont pas toujours ressemblé à ce qu’elles sont de nos jours…
L’origine de Shitamachi
Le développement de Tokyo remonte à l’avènement du clan Tokugawa, en 1601. Il serait plus juste de dire qu’entre 1601 et 1864, ce sont deux Edo qui se sont développées côte à côte, sans que leurs populations respectives ne se mélangent trop. Le château d’Edo, entre les deux, servant en quelque sorte de ligne de démarcation. Il y avait dans la partie Ouest la Yamanote, ou ville haute, perchée sur les collines de Shinjuku et de sa vicinalité. Peu habitée, plantée de grandes forêts et de riches demeures de Daimyo et de Samurai, la Yamanote était également appelée la « ville jardin ». Son antithèse, Shitamachi, s’étendait à l’Est du château d’Edo. Construite sur des îles ou des terrains desservis par de nombreux canaux – d’où son surnom de ville de l’Eau – Shitamachi attirait une population grouillante de marchands, de paysans et de petits commerces, mais également d’itinérants. Plusieurs centres virent se développer une industrie du plaisir, dont l’un des plus connus était Yoshiwara à Asakusa.
Ci-dessous, le pont de Ryogoku à l’époque d’Edo :

Les berges Est de la rivière Sumida, de nos jours surpeuplées (7000 habitants au km²), zébrées de ponts et de voies aériennes d’autoroutes, étaient totalement en friches au début de l’époque d’Edo. Il semblerait que Tokugawa Ieyasu considérait la rivière comme une douve extérieure du château d’Edo. Pour des raisons de sécurité, le pont Senju-Ohashi était le seul pont enjambant la rivière, ce qui contribua largement au drame de l’incendie Furisode en 1657, de nombreux habitants se retrouvant prisonniers des flammes et de l’eau. En 1872, un autre incendie donna l’occasion aux urbanistes de l’époque Meiji de structurer un peu mieux la rive Ouest. Le quartier de Ginza vit pousser des constructions en brique rouge sur le modèle anglais, et en 1890, la famille Mitsubishi convertit le château d’un noble d’Edo en London Town, connu sous le nom de Marunouchi, tandis qu’à Asakusa, émergeait en 1890 le Ryounkaku, premier building de douze étages, doté de l’un des premiers ascenseurs.
Le Ryounkaku :

Les malheurs de la Sumida
Shitamachi et la Sumidagawa ont été célébrés depuis des siècles à travers l’écriture, la peinture, et d’autres formes artistiques. Les Tokyoites – surtout les plus anciens – sont plutôt enclins à verser leur petite larme lorsqu’ils parlent de Shitamachi, ce mot semblant évoquer une époque révolue mais où c’était « le bon temps ». Or… Les rives de la Sumidagawa n’ont pas toujours été si bucoliques que cela. Au début du 20ème siècle, la zone était le lieu où bon nombre d’industries et d’entrepôts s’étant installés, de nombreux passeurs assuraient le transport entre les deux rives de la Sumida et le réseau de canaux. Dormant la plupart du temps dans leurs bateaux, ils vivaient dans une profonde misère dont même leur acharnement au labeure ne pouvait les tirer.
Outre les incendies de l’époque d’Edo, la Sumida fut durement frappée par le tremblement de terre de 1923 et les bombardements de 1945. Dans son livre « Something like an Autobiography » Akira Kurosawa décrit Tokyo après le tremblement de terre et l’incendie, et parle d’une Sumida teinte en rouge, où flottent des cadavres brûlés.
Le Ryounkaku ne survécut d’ailleurs pas :

Les rives de la Sumida connurent un autre baptême du feu les 9 et 10 mars 1945, où 334 B-22 déversèrent 1700 tonnes de bombes incendiaires, transformant la rivière et les quartiers voisins en une immense langue de feu, et tuant plus de 100,000 personnes. Curieusement, la plupart des ponts enjambant la Sumida ont résisté à ce cataclysme, et sont toujours en service.
Un pont après le bombardement de 1945 ; mal en point, mais encore debout :

Le feu n’était pas le seul danger menaçant les habitants de la rivière ; les inondations l’étaient également. Suite à l’inondation de la zone comprise entre Edogawa et Arakawa en 1947 et 1949 (causé par des typhons), et la lame de fond de 1959 qui fit 5,000 victimes, la rivière fut équipée de portes à écluses, et ses rives, bétonnées… Sécurité ne rime pas forcément avec beauté.
J’ai mis à peu près deux heures et demi à atteindre l’île de Tsukishima. Cette île, rattachée à la ville de Tokyo durant la période d’Edo, marquait l’entrée de la zone portuaire et de sont réseau de canaux. Dans l’esprit des Tokyoîtes, le nom est surtout associé aux monja-yaki, l’okonomiyaki local (notoirement connu pour ressembler à du vomis). La partie nord de l’île a été transformée dans les années 90 en zone résidentielle de luxe. Le Century Park Tower est d’ailleurs l’immeuble d’habitations le plus haut du Japon avec ses 52 étages, et l’un des plus chers. Si on considère la présence d’Odaiba – une autre zone trendy et onéreuse - au sud de Tsukishima, on peut affirmer que la Sumida a acquis ses lettres de noblesse…
La zone résidentielle de Tsukishima :

L’article complet etles photos sont sur mon blog.