Hortefeux aux eaux06 oct 2008Par François Brun
Ainsi donc, les 3 et 4 novembre prochain, la charmante station thermale de Vichy devrait accueillir, sous l’égide du ministre Hortefeux, une conférence européenne sur l’intégration. Certains s’en sont émus, qui n’ont pas la mémoire si courte que ça et ont conservé le souvenir de l’étonnante conception de l’intégration des populations étrangères qui prévalait sous le régime dit « de Vichy ».
Mais regardez comme ce ministre défend bien son dossier, sa prise de « risque », comme il dit, et comme il est applaudi, le 28 juin dernier, quand il lance qu’ « honnêtement, on en a ras le bol de cette histoire du passé, on ne va pas condamner une ville sous prétexte que, il y a soixante ans, il y a eu effectivement … » (les applaudissements empêchent de savoir ce qu’il y a eu exactement, il y a soixante ans). Notez le discernement dont il se targue d’avoir fait preuve quand il a « reculé » sur l’idée d’une conférence sur l’asile pour ne conserver que le thème de l’intégration.
http://www.dailymotion.com/video/x5y0op_ras-le-bol-de-l-histoire-du-passe-d_newsL’initiative ne semble pas jusqu’à nouvel ordre avoir choqué l’actuel chef de l’État, célèbre inventeur de l’« Histoire-lapin », celle que l’on tire du chapeau devant le spectateur médusé par les formes les plus insolites sous lesquelles elle ressort à chaque tour de passe-passe.
Les réactions débordent toutefois les clivages politiques. Un ministre, Laurent Wauquiez, a parlé de « faute de goût ». Et alors que le maire UMP de Vichy s’était déjà félicité du choix de sa ville, le groupe d’opposition de la mairie (essentiellement PRG), patriotisme de clocher oblige, reproche aussitôt à cet auvergnat félon de « jeter l’opprobre sur une ville et des habitants qui ne sont et n’ont jamais été ni plus fascistes ni plus collaborationnistes que l’ensemble des Françaises et des Français ».
Rien de très nouveau. Le très nécessaire « Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire » rappelle qu’une proposition de loi avait déjà été déposée le 26 mars 2003 à ce sujet par l’un des membres de ce groupe, le député Gérard Charasse. Se fondant sur le fait qu’ « après l'appel du 18 juin du général de Gaulle, cette ville a accueilli le deuxième acte de résistance : celui des quatre-vingts parlementaires qui ont refusé d'installer un régime d'exception et xénophobe », cette proposition indiquait qu’« il convient d'inciter, dans les textes d'origine privée, et d'obliger, dans les textes officiels, la substitution d'une dénomination de nature à rappeler le mode d'avènement de ce régime et son caractère autocratique à celles se référant à la ville de Vichy ». Elle proposait en conséquence l’appellation «dictature de Pétain ».
Ce faisant, elle renouait avec le vieux mythe gaullo-miterrandien, avec lequel Jacques Chirac avait heureusement rompu, qui niait la continuité de l’État français en confondant allégrement légalité et légitimité du régime instauré en France de 1940 à 1944 et en faisant bon marché de l’implication des hommes qui, en place avant 1940, n’en sont pas moins demeurés en fonction après cette date, et parfois après la Libération. C’est du même coup paradoxalement réduire la portée de « l’acte de résistance des quatre-vingts parlementaires » puisque, cet exemple eût-il été suivi, la légalité du pouvoir aurait alors, et alors seulement, pu être contesté.
La décision de tenir à Vichy une conférence sur l’intégration est donc triplement perverse.
En premier lieu, par le refus sélectif de mémoire qu’elle assume et revendique.
En second lieu, par la régression dont est porteuse la position qu’elle prend implicitement au regard de l’Histoire.
Enfin, par le choix même du thème. Car enfin, si l’on voulait seulement cesser de stigmatiser Vichy, n’aurait-il pas été possible de prévoir une rencontre, que sais-je, sur le développement local dans les zones de moyenne montagne ou sur la prise en charge des soins de santé des populations vieillissantes, pourquoi pas d’organiser un colloque d’œnologie ?
Était-il indispensable d’aller y parler avec nos amis Allemands de la manière de faire le tri entre bons et mauvais étrangers ? Car, dans le climat à tant d’égards nauséabond qui règne aujourd’hui, c’est bien souvent de cela qu’il est question quand on parle d’ « intégration ».
Bien malin qui pourrait dire - si jamais des circonstances ouvrant la porte à tous les démons devaient à nouveau advenir - lesquels, parmi ceux qui nous gouvernent aujourd’hui, sauraient résister, lesquels par opportunité ou avec enthousiasme, prendraient le parti de la collaboration, qui sont, au fond vichystes dans l’âme. Après tout, quand Laval faisait voter, en 1934, une loi « protégeant la main d’œuvre nationale » qui évoque furieusement les textes de 2006 organisant « l’immigration choisie », il avait encore l’apparence d’un fort bon républicain : seuls les événements que l’on connaît lui ont permis de se révéler pleinement.
Mais il n’est nul besoin de se livrer à de quelconques projections sur un avenir fantasmé ou à un exercice de voyance sur un éventuel assombrissement de l’horizon pour observer que lorsque des pratiques indignes en matière de traitement des étrangers se joignent à ce point au mépris des symboles les plus forts, ou à leur manipulation, il est quand même peut-être temps de tirer la sonnette d’alarme.