Re: Nicolas Sarkozy élu président de la république
Reply #1683 –
Bon.
Tout d'abord, l'histoire et la mémoire sont deux choses différentes. Si les rapports sont évidents, leurs logiques, leurs origines, leurs desseins diffèrent sensiblement. L'histoire explique, la mémoire ne veut pas oublier.
L'histoire en tant que discipline scientifique est le fruit d'une mutation de paradigmes qui ont pour origine les XVII et XVIIIe siècles. Je ne vais pas parler d'Hérodote, des Arabes ou autres, je parle d'abord des moines de Saint Maur (dont le célèbre Don Pérignon est un contemporain et membre). Ceux ci ont, chose nouvelle entrepris une vaste étude diplomatique de toutes les sources hagiographiques connues. En d'autres termes, dans un contexte de contre réforme, ils cherchaient à trouver le vrai du faux, l'original de la copie dans des textes qui pouvaient être vieux de plusieurs centaines d'années. Autour de Don Mabillon, s'est développé ce que l'on appelle la "diplomatique", la critique de document, de la source.
Cette critique fut très vite appliquée par l'Etat qui voulait faire un tri dans cet énorme corpus législatif qui s'appelle le "trésor des chartes" où furent entreprosées toutes les lois, tous les édits et autres. Elle fut également appliquée dans un débat entre "romanistes" et "germanistes" dans un vent de Lumières. Chacun cherchait à trouver les sources prouvant leur thèse : Les nobles sont-ils des parvenus ou leur domination sur le T-E a t-il une explication historique, donc légitime ?
La discipline historique se développe donc au XVIIIe siècle.
Cependant elle prend un coup d'arrêt lorsqu'on voit un retour de l'érudition et de l'utilisation du romanesque. Ainsi les historiens du début du XIX, influencés par le romantisme, écrivent des livres d'histoire qui sont plus proches du roman historique. En France, le représentant serait sans doute Augustin Thierry.
Progressivement, cette posture est critiquée avec le développement du scientisme (tout s'explique par la science, tout s'acquiert/se découvre par la méthode) et les historiens dit "méthodiques" vont créer la discipline historique actuelle à travers une méthode qui est à peu près la même aujourd'hui :
On part d'une problématique.
On se documente.
Sur chaque document, on le critique : la critique herméneutique et heuristique, c'est à dire qu'on va chercher à savoir s'il est "vrai" et s'il a une "portée historique". En gros, dans le fond et la forme.
Puis lorsque la recherche est terminée, on expose notre thèse.
Le problème de ses historiens est qu'ils se sont intéressés seulement aux évènements et aux grands hommes. Ils se sont désintéressés du fait social et de l'humain car ils faisaient de l'histoire à la fois une science totalement objective et une science au service du pouvoir (vous allez me faire Gné ???? Mais on est jamais à un paradoxe près...)
Ainsi, par Bloch, Fèbvre et Lefevre, les méthodiques ont été remis en cause par une école souhaitant remettre l'homme et le fait social dans la course. On ne fait pas d'histoire subjective, loin de là... Mais l'histoire doit aussi prend en compte son contexte. Braudel ajoute aussi une division du champ temporel : il y a plusieurs temps : géographique (long), social (génération), évènementiel (court).
Ainsi, l'histoire est devenue une discipline qui étudie l'homme et les sociétés humaines dans le temps. Pour étudier l'histoire, il faut donc aborder le fait que l'on étudie de diverses manières.
Si je veux étudier la Vendée révolutionnaire, je dois l'étudier avec ces questionnements :
Je pars du postulat que je sais qu'il y a eu une guerre civile brutale entre Vendéens (plutôt royalistes) et républicains.
Mes questions seront :
- Qui sont les Vendéens ?
- Qui sont les Républicains ?
- Quelle est la nature de leur antagonisme ?
- Quelles sont les formes de cet antagonisme ?
- Quels sont les évènements, décisions, actions prises par l'un et l'autre camp ?
- Si l'un a voulu supprimé l'autre, pourquoi ? Est-ce unilatéral ou réciproque ?
Etc etc.
Au delà de l'évolution du paradigme historique, s'est greffé un besoin sociétal : celui de la mémoire. Si ce besoin n'est pas né au XXe siècle, il a pris un essor réel puisqu'il prit une dimension physique et morale sans précédent dès la fin de la première guerre mondiale. Les historiens ont essayé de prend le contrôle de ce phénonème en essayant de donner des réponses "historiques", c'est par exemple le but du collège d'historiens menés par Lavisse pour expliquer la première guerre mondiale.
Evidemment, les historiens furent dépassés car la mémoire fait appel au sentiment et non à la raison. Elle fait parler la douleur, le souvenir d'une population. Elle prend peu en compte le contexte, les autres ou la réciproque. Elle idéalise ou dramatise. Ainsi malgré Lavisse qui démontre que l'origine de la première guerre mondiale est bien plus complexe que la seule faute de l'Allemagne... Celle-ci est restée responsable aux yeux des Alliés et vous savez ce qui s'est passé ensuite.
Le questionnement historique lui aussi a été modifié par la mémoire, les historiens se sont intéressés de plus en plus aux groupes (prosopographies et microstoria), des histoires locales, voire familiales. Si ce renouvellement de paradigme est passionnant, il fut très vite dangereux car souvent, les historiens avaient du mal à rattacher leur champ d'étude au contexte.
Un exemple : j'étudie la famille X. sur trois générations, je vais lui donner une importance qui n'est pas aussi grande que la réalité... A cause de mon focus, je vais surinterpréter des faits qui sont, en fait, banaux.
Du coup, actuellement, les historiens insistent sur le lien, le fait social et sa connexion avec le contemporain (puis l'actuel). On se méfie du téléhistorique. Si on étudie un sujet sensible, il faut bien remettre les choses dans leur contexte et être soi même l'avocat du diable.
Alors, je m'excuse de cet exposé très long mais je me devais de le faire, par soucis de rigueur, mais j'en viens du coup à notre débat (que j'ai un peu abordé plus haut).
La plupart des historiens (il y en a eu) et des érudits qui travaillent sur la thèse vendéenne sont critiqués pour la forme plus que pour le fond. Et je reprends cette critique à mon compte notamment quand on évoque Péan.
Le boulot de Péan est journaliste, que cherche t-il à faire ? Une étude historique ou une polémique sur la mémoire ?
Qu'est ce qui plaît ou intéresse ? Une synthèse expliquant ou un dossier à charge ?
Les historiens menés par Vovelle (loin d'être un pantin) expliquent que les méthodes des "pro-génocides" sont peu historiques.
Pourquoi ?
Ils font effectivement des recherches, utilisent des sources des deux camps et des sources sans aucun doute véridiques.
Le problème est que cette utilisation n'a qu'un but, justifier leur postulat.
Or une étude historique doit, lorsqu'elle part d'un postulat, chercher à la justifier... ET à la contredire. Elle doit chercher à savoir ce qui se passe ailleurs, autour... Si c'est exceptionnel, si c'est normal ou autre.
Ainsi, l'histoire n'est pas "sans sentiment" ou "ultra objective" et "robotique" comme tu me l'as reproché. L'histoire cherche à expliquer, donc elle doit être polémique et surtout envers elle-même. Une bonne étude historique est une étude qui va toujours au delà du champ d'étude, c'est nécécessaire pour sa crédibilité. De fait, si on a envie de défendre une thèse, si par exemple toi, FB, tu veux prouver "le génocide vendéen", tu dois aussi chercher à prouver qu'il n'exista pas.
J'ai fait extrèmement long... J'avais envie aussi de parler un peu plus de la mémoire et de sa différence avec l'histoire. Mais bon, autant vous renvoyer à Pierre Nora et Paul Ricoeur, ce sera plus pertinent que moi.