Le tweet de Jean-François Kahn - Quand la gauche bien pensante fait le lit de la réaction mal pensante
POLITIQUE - La similitude que j'ai esquissée entre la dynamique qui, après guerre, porta une jeunesse rebelle à s'engager dans les rangs d'un Parti Communiste pourtant stalinien, et celle, à droite, aujourd'hui, qui a gonflé les rangs des "manifs pour tous" malgré la tonalité quelque peu néo-pétainiste des diatribes déroulées par ses porte-paroles, c'est Le Figaro qui, lundi, l'a suggéré à son tour. "Cette jeunesse, écrivait à la une ce vénérable quotidien, vient de découvrir les vertus de l'action civique, la grandeur de l'engagement politique quand il ne se résume pas à une bataille pour des circonscriptions. La révolte, l'indignation, mais aussi l'enthousiasme, l'anticonformisme et l'inventivité ne sont plus les monopoles des prétendues forces de progrès."
Et, cet ex-journal de la droite raisonnablement conservatrice de se réclamer soudain de cette base radicalisée et chauffée à blanc contre la fraction gaullo-républicaine ou centriste de l'UMP. De "la droite d'en bas contre la droite d'en haut". Un tournant. La droite modérée n'a plus de journal.
Il y a cependant du vrai dans ce qui réjouit tant l'éditorialiste du Figaro. On peut bien qualifier, en effet, de réactionnaire ou de rétrograde (j'assume même avoir employé le terme de "néo-pétainisme") le mouvement qui s'est fédéré autour du refus du mariage gay, il n'empêche qu'il a mobilisé dans la rue, à plusieurs reprises, des foules considérables et jeunes. Comme jamais la droite n'y était parvenue depuis trente ans.
Pourquoi ?
Ce sont les turpitudes, les oppressions et les trahisons de la droite qui grossirent après guerre les rangs de l'extrême gauche. Or, c'est le terrorisme intellectuel d'une certaine gauche bourgeoise et bien pensante, cette insupportable tendance à criminaliser le moindre écart, à diaboliser la moindre sortie de route, cette chasse obsessionnelle à la petite phrase incorrecte, cette dénonciation compulsive du dérapage aussitôt qu'on mord le trait, cette stigmatisation incessante d'une "dérive" dès lors qu'on ne pense pas comme il faut, cette traque devenue quasi délirante d'un populisme fantasmé, ce qualificatif de "nauséabond" employé à tout bout de champ, qui ont provoqué l'exaspération dont se nourrit cette vague objectivement réactionnaire et même ultra réactionnaire.
De cet inquiétant retour de manivelle, les médias qui se sont arrogés le monopole de la modernité ne sont pas tout à fait innocents, ni l'arrogance négatrice de Libération, ni le mépris trop souvent excluant du Monde.
Le peuple, au sens le plus large du terme, les républicains de progrès doivent et peuvent le reconquérir. Encore faut-il, de temps en temps, être capable de l'écouter.