Pour ma part, je considère que ce sont les hauts fonctionnaires qui ont réellement le pouvoir. Les hommes politiques peuvent bien sûr influencer un certain nombre de choix, mais il ne faut pas se leurrer, une politique globale se définit dans une durée qui n'a rien à voir avec un mandat de président (5 ans) ou de ministre (quelques jours à 2-3 ans, rarement plus).
Prenons un exemple simple. Le nombre de fonctionnaires d'État en France est d'un peu moins de 2 millions, avec un statut qui les protègent des pressions politiques, notamment en rendant leur licenciement quasiment impossible, sauf faute grave. De plus, une structure de cette taille ne peut être réorganisée d'un claquement de doigts, car qui dit réorganisation dit souvent déménagement, donc locaux à trouver avec quasi-systématiquement des surfaces conséquentes. Donc clairement, ce n'est pas sur un quinquennat qu'une baisse importante des effectifs ou une grande réorganisation de l'administration peut être décidée et exécutée.
Entre 2006 et 2011, la fonction publique d'État a perdu plus de 10% de ses effectifs (réduction de quasiment 2,2 millions à un peu plus de 1,9 millions d'employés), et cette tendance se poursuit. Cette baisse a été anticipée et planifiée à partir des années 1990. Si on prend le ministère de l'écologie (ex équipement) dès les années 1990, alors que le ministère avait entre 70 et 80000 agents, un rapport a envisagé de réduire les effectifs à 20000 personnes. À l'époque les gens n'y croyaient pas. Pourtant, l'objectif de ce rapport sert de boussole: transfert des routes aux conseil généraux, abandons de missions, couplés à des départs en retraite massifs. En 2013 il restait dans le ministère 49 258 agents, avec une pyramide des âges qui dit que d'ici 15 ans les 2/3 seront partis en retraite… En un an, de 2012 à 2013, le solde entre les embauches et les départs a été de -7000 personnes environ. On voit donc qu'à court terme, un ministère de l'écologie à 20000 agents, voir moins, n'est pas absurde. Or cela n'aurait pas pu arriver aussi brutalement sans une planification allant bien au-delà des mandats électoraux.
Finalement, le fonctionnement n'est guère différent de la IVe république à laquelle on reprochait son immobilisme: À l'époque l'instabilité gouvernementale extrême faisait que c'était la haute administration qui gouvernait (lancement du programme de la bombe A, reconstruction, développement des industries stratégiques…), en laissant juste au politique l'illusion du pouvoir (validation des dossiers en conseil des ministres, inaugurations…) Sauf que la politique générale de la haute administration en matière économique a changé en même temps que celle des milieux économiques et de la haute finance auxquels elle est très perméables. Elle est passé d'une vision plutôt étatiste (IIIe et IVe république, ainsi que début de la Ve), à une vision libérale de plus en plus débridée (à partir des années 1970).