Chaque semaine, par les anecdotes que je pourrais narrer (mais que je tais souvent), je me dis que je pourrais écrire un livre et ses séquelles... Mais comme tout le monde s'en fout de l'éducation, sauf quand il s'agit de se plaindre sur la place de la France dans les études PISA, TIMMS, PIRLS, PEZZ, MENTHOS...
Et également, je renforce l'idée que je n'enseignerai pas toute ma vie... Même si ma seconde carrière risque de demeurer dans l'EN ou "au service de l'Etat" tant il n'est pas évident de se reconvertir.
Ma petite révolte quotidienne, hier, a porté sur les surveillances du DNB. Nous avons décidé, collectivement, même si nous soutenons nos collègues de lycée, de ne pas répondre à l'appel de la grève des surveillances pour le Brevet. En effet, si le concept de "prise d'otage des élèves" nous est complètement étranger tant on a pas de leçon à recevoir du Ministère, nous avons regardé l'évolution de la grève des surveillances et avons fait le constat :
- qu'elle a été massive mais que la presse ne l'a quasiment pas relayé préférant le storytelling stalinien et Sarkozyste (plus c'est gros, plus ça passe) du SMinistre Blanquer.
- que les parents s'en battent carrément les roubignolles de la réforme du lycée. Ils n'ont rien compris, quand ils en sont victimes, se plaignent de l'affectation de leurs enfants mais ne comprennent pas que tout cela est lié à la réforme en elle-même et la politique sous-jacente et désormais habituelle du ministère : économies, suppressions de postes, de moyens et concentration de ces moyens dans les métropoles des villes-centres.
- Que le DNB n'intéresse personne, donc une grève, même massive et non maîtrisée par le MEN, n'aurait pas intéressé grand monde à part Apathie ou Truchot pour nous insérer une quenelle dans le derrière.
Vous savez, peut-être pas d'ailleurs, que le DNB a été reporté pour cause d'alerte canicule. Dans le fond, il n'y a pas grand chose à dire. Evidemment, on peut faire les bourrins et envoyer les gamins supporter les ambiances des salles les moins chaudes où il fera quand même 26° à 8h et 35° à 15h. Donc on comprend l'annonce... On comprend moins que cela ait été fait par voie de presse et que les premières annonces officielles (par voie hiérarchique) soient arrivées au plus tôt à 18h30 trois heures après l'annulation (dans certaines académies, nous c'était le lendemain à 11h), au plus tard hier (je ne plaisante pas, j'ai reçu hier seulement la modification de programme pour le planning d'harmonisation et de correction).
Imaginez dans des centaines d'écoles les appels de parents incrédules reçus par des personnels de direction répondant décontenancés "vous me l'apprenez..." Al' m'a dit sur Facebook que c'est une pratique classique de l'Etat. Cela me révolte. Depuis un mois, semble-t-il en réaction à la grogne généralisée des professeurs, le MEN nous envoie une lettre d'information hebdomadaire. Avec à boire et à manger. Ils sont, en tous cas, capable de nous envoyer, au million d'agents du MEN, un message simultanément et ils ne peuvent pas le faire... Au moins une heure avant la conférence de presse actant le report du DNB avec un plan de guerre pour que l'on réponde aux interrogations du terrain ? Tu parles !
On repense également au document qui rappelait aux professeurs des écoles (surtout) de mettre les élèves dans une ambiance "fraiche". C'est vrai ça, 80% des écoles et collèges sont sortis de terre dans les années 60 et 70, sont de grandes passoires thermiques, avec des orientations E/O, des baies vitrées sans volet, un confort digne d'une prison française... Par une demie plaisanterie, je disais à un collègue qu'il faudra, à cause du changement global, créer des écoles à l'architecture de hobbit. Demie plaisanterie car j'y pense tant nos structures sont inadaptées à ces nouvelles canicules (et je ne parle même pas du reste).
Enfin, arrive ce lundi, je surveille le Français. L'ambiance est chaude mais pas étouffante dans ma salle, les élèves à surveiller sont sympas... Beaucoup plus que dans la salle d'en face où, hasard de l'alphabet, on a une concentration de loulous. Parmi ces loulous, deux cousins qui avaient manifesté leur curiosité face au passage de l'examen sans présenter de titre d'identité. Et... Sans surprise, ils n'avaient pas de papier d'identité mais par contre arboraient un grand sourire. Ma collègue suit la procédure, va chercher le chef d'établissement. Normalement, les élèves ne sont pas acceptés et doivent être reçus par le chef d'établissement qui, en règle générale, les renvoie en salle d'examen et leur autorise à passer l'examen. Sauf que le chef répond "je les vois, je les reconnais, c'est bon, on ne va pas y passer trois heures". Ma collègue est incrédule, elle explique que ces gamins l'ont fait exprès. Le chef n'en démord pas. Elle me raconte l'épisode et, étonné par la formulation du chef, je relis les consignes de surveillances... Et là, grand choc, depuis cette année, il est écrit noir sur blanc que les élèves sans papier d'identité sont autorisés à composer dès lors qu'un adulte, membre du personnel, les a reconnus.
On peut se dire qu'il est hypocrite de faire "comme si" on ne connaissait pas nos propres gamins. On surveille des gamins que l'on connaît blablabla... Mais cette évolution, c'est ce petit laxisme quotidien qui nous décrédibilise, dénature notre autorité. La présentation d'une convocation et d'un titre d'identité, même dans un lieu connu des gamins, c'est une étape importante, un rituel à acquérir... Mais le jour J de l'examen, on est plus dans le "bon, c'est pas grave, tu l'apporteras la prochaine fois", c'est de la pure désinvolture.
Pis, toujours même salle... Nous avons tous demandé aux gamins de mettre les téléphones, éteints, dans les sacs au fond des salles... Un portable vibre, ma collègue est agacée mais elle ne le localise pas... Puis elle lève les yeux et voit un gamin, mains sous la table, tête baissée... Elle le grille avec son portable allumé et vraisemblablement en train de l'utiliser. C'est clairement une fraude. Elle écrit un PV de fraude, le donne au chef... Qui répond avec la même désinvolture et fait comprendre que le PV ne sera pas lu. Et deuxième coup de froid (ou de chaud). Encore une nouvelle faille entamant notre crédibilité et autorité.
Des exemples comme ça, des bobards racontés par le Ministre et ses collaborateurs, relayés par une presse décérébrée, j'en ai presque tous les jours. Ca me fatigue.
L'année prochaine, je prends deux heures supplémentaires. Je ne peux pas les refuser. Vous devez les connaître puisque le ministre en a parlé. Après tout, on ne travaille que 18h donc passer à 20h, c'est pas bien grave... Je ne vais pas aller sur le débat du "un prof travaille-t-il moins que les autres ?", ça ne sert à rien... Entre les contre-exemples du parfait branleur et la quantification du travail invisible, difficile de prouver même si les statistiques sont assez éloquentes.
Ce dont je veux parler c'est la rémunération de ces heures supplémentaires et leur utilité, afin de montrer que le ministère se fout ouvertement de ses agents et des usagers.
- la rémunération des heures supplémentaires est forfaitaire. Le forfait est de 1358€ année pour la 1ere HS et de 1245 pour la seconde et les éventuelles autres HS. Ces HS sont divisées par 9 et sont rémunérées d'octobre à juin. Il faut savoir que contrairement aux autres métiers, une heure supplémentaire professeur est moins rémunérée qu'une heure de service normal. Pour être plus précis, dès que l'on passe le 6e échelon (10 ans de carrière en gros), l'heure supplémentaire devient inintéressante. Ainsi, lorsque le ministère favorise les heures supplémentaires sur les heures postes, c'est avant tout parce qu'il réalise des économies directes (par agent) et d'échelles (18 heures supplémentaires économisent un poste entier).
- on pourrait croire que ces heures supplémentaires existent pour le bien des élèves. Beaucoup de parents, et même des députés naïfs, ont soutenus la seconde heure supplémentaire non refusable car elle s'ajoutait au volume d'heures déjà existant. Mais là, c'est la grosse méconnaissance des dotations globales. Quand le budget annuel de l'Etat est voté, dans la partie MEN, il existe une dotation globale qui va se compter en ETP et en 36HS (équivalent temps plein et 36 heures supp' soit une par semaine). Par exemple : 750 000 ETP et 600.000 36HS. En aucun cas les HS ne peuvent se transformer en ETP. Donc les ETP doivent supporter tous une certaine charge d'HS. Quand Blanquer annonce en janvier une seconde heure supp', en novembre, elles ont déjà été budgétisées. Quand le budget de l'Etat est adopté, chaque académie va "négocier" son propre volume de DGH (dotation globale horaire) qui va elle-même être composée d'ETP et d'HS... Chaque académie va ensuite répartir dans chaque département (DSDEN ou IA en jargon éducation nationale) qui va le répartir dans chaque établissement... Ouf ! C'est très vertical, annuel et... Souvent brutal. Donc ces heures supp', cette seconde heure supp', elle apparaît comment ? Et bien revenons à notre exemple : 750 000 ETP et 600.000 HS. Y'a deux façons de mettre en place la seconde HS. Soit on augmente les HS tout en gardant les ETP et cela augmente sensiblement le nombre d'heures consacrées par élève, donc c'est effectivement dans leur intérêt... Soit on procède à un autre calcul : 730.000 ETP et 1.000.000 HS. On supprime directement des postes, 20.000 dans mon exemple et on répartit 400.000 36heures supplémentaires dans le restant. Ainsi, dans les DGH 2019/2020, le nombre d'HS a doublé et le nombre d'heure poste/ETP a fortement diminué soit des suppressions de postes. Le pire ? C'est que le Ministère a sorti une carte officielle masquant les balances création/suppression en assimilant ETP et HS. En Limousin, il était inscrit sur la carte du ministère 36 suppressions, en réalité c'est 58. En Aquitaine, il était inscrit 50 créations de postes, en réalité, c'est 45 suppressions...
Voilà pour ce petit cours de gestion, c'est l'école de la confiance en marche.
Comme je disais, je pourrais en écrire un livre...