Bien sur ;)
Ainsi vous pourrez me dire ce que vous en pensez. :sweatdrop:
Re: Histoire des Civilisations
« Réponse #45, le 10 Mai 2006 à 14:37 »
Bien sur ;)
Ainsi vous pourrez me dire ce que vous en pensez. :sweatdrop:
Les Aïnous restent sans voix au Japon
Shigeru Kayano, infatigable défenseur de la minorité opprimée, est décédé à l'âge de 79 ans.
Terrassé samedi par une pneumonie à l'âge de 79 ans, au terme d'un long combat contre la maladie, Shigeru Kayano, dit le «Mandela aïnou», pourrait bien s'avérer plus encombrant mort que vivant. A l'annonce de son décès, l'indifférence de grands médias japonais autant que le silence gênant de la classe politique et du Premier ministre Junichiro Koizumi ¬ qui a montré moins d'entrain à lui rendre hommage ce week-end qu'à faire savoir qu'il irait de nouveau, ce 15 août, au sanctuaire de Yasukuni honorer les «morts pour la patrie» ¬, en dit long sur le malaise suscité par la disparition de cet avocat pugnace des Aïnous, descendants lointains d'origine caucasienne des premiers chasseurs et cueilleurs aborigènes venus s'établir sur les terres du Japon. Seule l'ex-présidente du défunt Parti socialiste nippon, Takako Doi, a rappelé avec quelle détermination Shigeru Kayano, qui impressionnait les Japonais par son physique de géant, avait «porté sur ses épaules la fierté d'une minorité ethnique». L'épais silence qui entoure sa mort témoigne du sort réservé depuis longtemps aux Aïnous, peuple dépossédé de ses terres, aux droits bafoués, victime depuis des siècles de préjugés et discriminations. Les Aïnous ne seraient plus, selon certains, que 25 000. Ils seraient en fait six à sept fois plus nombreux. Mais pour mieux dégoter un emploi ou pouvoir se marier librement, beaucoup préfèrent aujourd'hui taire leur origine. Ou changer leur nom de famille. Conséquence indirecte non pas d'un apartheid planifié, mais des règles désastreuses de l'assimilation forcée.
Lois iniques. Ethnologue, historien, écrivain prolifique (il a écrit plus de cent livres), Kayano, leader emblématique des Aïnous, dont il a tiré du dialecte un dictionnaire, avait créé la surprise en 1994 en gagnant un siège de député au Parlement, à Tokyo. Devenu leur premier représentant politique officiel, il avait tenté d'éradiquer les lois iniques empêchant les Aïnous de préserver leur langue, leur culture et leurs terres. Mission alors impossible qui fit dire à certains que l'obtention miracle de son siège de député était une victoire à la Pyrrhus. Surtout contre-productive car très peu de députés japonais l'épaulèrent. Maniant la provocation, Kayano n'hésitait pas à poser aux députés japonais des questions en aïnou, dialecte que pas un élu, bien sûr, ne comprenait. En 1991, il avait tenté en vain de s'opposer à la construction d'un barrage sur des terres aïnous à Hokkaido. Un béton d'après lui symbole de «l'expropriation» dont son peuple était victime.
Recevant Libération chez lui en juillet dernier, malgré son état très affaibli, Shigeru Kayano livrait le fond de sa pensée. «Etre député fut une expérience intéressante. J'ai été en effet le premier représentant aïnou autorisé à siéger au Parlement japonais. Mais a-t-elle servi la cause des Aïnous ? Je ne le pense pas. J'ai l'impression qu'au contraire, mes années parlementaires ont été vaines. Malgré mes efforts, notre situation s'est détériorée. L'injustice à l'égard des Aïnous n'a pas cessé. Notre situation est pire même. Un Aïnou, un de ses descendants ou tout Japonais (e) qui se marie avec un (e) Aïnou est discriminé sur le marché du travail. Des Aïnous sont recalés à l'embauche à cause de leur identité, de leur apparence physique ou de la consonance de leur nom. D'autres sont recalés par des banques qui refusent de leur ouvrir un compte car ils n'ont pas d'emploi.»
Il ajoutait à voix basse : «Durant cinquante ans, j'ai lutté pour les miens, écrit des livres pour perpétuer la mémoire de mon peuple. Je suis un homme âgé et malade. Mais je continue d'écrire. Car les Aïnous ne connaissent plus la liberté. Cela fait longtemps qu'ils n'en ont plus. Depuis qu'ils ne sont plus autorisés à pêcher eux-mêmes leur poisson. Avant, nous nous nourrissions de saumons, de cueillette et de fruits des bois. Or, depuis de longues années, les Japonais pêchent tout notre poisson. Des millions de saumons par an. Et ils ne nous laissent que des miettes, quelques kilos de saumons pour tel village, tant de poissons pour tel autre village. Nous sommes prisonniers de ces quotas injustes.»
La «Loi de promotion de la culture aïnou» adoptée en 1997 au Parlement, dont Kayano était l'instigateur, n'aurait eu aucun effet positif selon lui. «Notre situation s'est dégradée. Nous n'avons plus de représentant au Parlement. Aucun moyen de faire entendre notre voix. Koizumi, comme tous les hommes politiques japonais, nous a abandonnés.» Kayano aurait bien vu son fils prendre la relève. «Il ne veut pas faire de politique. Il veut rester à Nibutani. Il veille sur notre musée qui renferme la mémoire de notre peuple.»
Années amères. Abritant des trésors culturels, des photos noir et blanc, des lithos et livres jaunis, d'anciennes sculptures sur bois de saumons, ours et hiboux ¬ animaux du panthéon animiste local ¬, le musée de Nibutani attire des touristes du Japon entier. «Dommage, fait remarquer Etsuko Kato, professeur d'université rencontrée près du musée avec ses élèves, que les traditions aïnous ne soient plus enseignées dans nos écoles.» Dommage aussi qu'en sortant du musée, les touristes ignorent que la maison en bois d'en face est celle du «héros» de la cause aïnou. Shigeru Kayano était revenu y vivre avec son épouse il y a dix-huit ans, après ses années amères au Parlement. Depuis son retour à Nibutani, qui a accueilli en 2005 le Congrès mondial des peuples autochtones, l'ethnologue écrivait sur les Aïnous, les ours (quatre essais) ou la splendeur du Hokkaido, ses schistes, rocs de granit, gorges, plaines, forêts et montagnes. Où daims et renards vivent en nombre en liberté.
Seul rayon de soleil ces jours-ci à Nibutani, la radio aïnou FM Pipaushi (littéralement «endroit riche en coquillages»), fondée par Kayano et que dirige son fils Shiro, émet dans le monde entier sur Internet. Elle passe en boucle les tubes du musicien Kanô Oki, pape du rock'n folk aïnou (en concert à Paris le 23 juin). Et héritier à sa façon de la cause ethnique.
A l'annonce de son décès, l'indifférence de grands médias japonais autant que le silence gênant de la classe politique et du Premier ministre Junichiro Koizumi ¬ qui a montré moins d'entrain à lui rendre hommage ce week-end qu'à faire savoir qu'il irait de nouveau, ce 15 août, au sanctuaire de Yasukuni honorer les «morts pour la patrie» ¬
Elle passe en boucle les tubes du musicien Kanô Oki, pape du rock'n folk aïnou (en concert à Paris le 23 juin). Et héritier à sa façon de la cause ethnique.
Pour les Parisiens, je signale qu'on peut admirer trois robes (deux grandes et une petite d'enfant) et quelques pochettes, faites de fibres végétales (de l'écorce d'arbre), et confectionnées par des Aïnous de l'île Sakhaline au XIXe siècle, avec les motifs géométriques caractéristiques de l'art aïnou, au musée du quai Branly.
Elles sont placées dans une petite salle consacrée aux peuples de la Sibérie, et cotoient des objets evenks et nivkhs, deux autres peuples de l'île Sakhaline. La présentation insiste sur le fait que les modes de vie des différents peuples de la taïga de l'Asie du Nord sont très proches (chasse et pêche).
Voyage
PORTRAIT • Un Polonais chez les Aïnous
Tous les Polonais connaissent Józef Pilsudski, maréchal et père de l'indépendance acquise en 1918. Son frère Bronislaw reste à découvrir. Au Japon, l'homme n'est pas inconnu : anthropologue avant l'heure, il a contribué à la renaissance des Aïnous, peuple aborigène des îles nippones.
Dans la grande encyclopédie polonaise, l'entrée Bronislaw Pilsudski occupe à peine neuf lignes et commence par la mention "frère de Józef". Les auteurs ont consacré 59 lignes à ce dernier, sans souligner qu'il s'agissait du "frère de Bronislaw". Ensuite, tout est mélangé. Les deux biographies se confondent et l'acte héroïque - l'attentat contre le tsar Alexandre III - est attribué à Józef ; pourtant, c'est bien Bronislaw qui a été condamné à mort pour cela. Peu de gens savent que Bronislaw a sauvé la vie du futur maréchal, son frère, en le sauvant de la noyade dans un étang ; ils étaient alors des enfants. Et l'on ignore presque tout sur les liens qui les unissaient à l'âge adulte.
A part leur nom, les deux frères n'avaient rien en commun. Józef, le cadet, était extraverti, envahissant et imposant, la bagarre et la guerre étaient ses éléments. Bronislaw, d'un an son aîné [né en 1866], était introverti, silencieux et romantique, et méprisait la violence. Leur jeunesse s'est déroulée selon un schéma propre à leur époque : éducation patriotique, conspiration, condamnation, déportation. En la matière, Bronislaw fut le plus actif. Il partit étudier le droit à Saint-Pétersbourg, où il fit partie d'un cercle de conspirateurs ; il fut très rapidement arrêté et condamné à mort avec le frère de Lénine. Celui-ci fut pendu, tandis que la condamnation de Pilsudski était commuée en quinze années de bagne. Józef fut également arrêté en tant que frère du conspirateur, et tous deux furent envoyés en Sibérie. C'est là qu'eut lieu la dernière rencontre entre les deux frères. Bronislaw atterrit dans le pire endroit qui pût exister : Sakhaline. Józef demanda - en vain - à le rejoindre afin de veiller à sa santé, qui était délicate. Tout porte à croire que les frères ne se sont jamais revus. L'étoile de Józef brille toujours, tandis que celle de Bronislaw commence à peine à sortir de l'ombre.
SAKHALINE ET LES KOURILES N'ONT JAMAIS ÉTÉ NI RUSSES NI JAPONAISES
Sakhaline est une formation géologique bizarre : une île du Pacifique longue de 1 000 kilomètres, dont la largeur ne dépasse pas quelques dizaines de kilomètres dans la partie la plus étroite. Elle constitue un prolongement naturel de l'archipel nippon et des îles Kouriles. Les relations russo-japonaises ont rarement relevé du bon voisinage. Sakhaline et les Kouriles ont changé de main à plusieurs reprises, mais, à vrai dire, elles n'ont jamais été ni russes ni japonaises. C'était la terre des Aïnous, comme l'Amérique était celle des Indiens.
Les Kouriles ont été découvertes au XVIIe siècle par Ignacy Kosarzewski, un Polonais au service des tsars (dans les sources, il figure sous le nom russifié de Kozyrevski). Les Russes y ont organisé une colonie pénitentiaire particulièrement dure. Anton Tchekhov en a fait une description poignante. Mis à part les prisonniers et les gardiens, l'île était peuplée d'autochtones, dont les Aïnous formaient le groupe le plus important. C'est parmi eux que Bronislaw Pilsudski a découvert le paradis sur terre. Le jeune déporté a tout d'abord travaillé comme charpentier, puis il est devenu météorologue. La mort du tsar Alexandre III, celui qu'il avait voulu tuer, et l'amnistie qui l'a suivie ont constitué un vrai bonheur pour Bronislaw. En semi-liberté, soumis à l'interdiction de retourner en Europe, il a trouvé un emploi de conservateur au musée régional de Vladivostok. Le juriste qui n'avait jamais pu obtenir son diplôme a trouvé là sa vocation : l'ethnologie. Sa rencontre, alors qu'il était encore bagnard, avec l'éminent ethnologue Lev Iakovlevitch Sternberg fut décisive. Sous sa tutelle, Pilsudski a acquis un savoir qu'on est en mesure d'apprécier aujourd'hui seulement, même si, à l'époque, l'Académie impériale des sciences avait reconnu ses qualités : le jeune chercheur s'était vu attribuer la mission d'exploration des peuples de Sakhaline. Il a commencé ses recherches par les Nivkhes, connus aussi sous le nom de Ghilaks, puis son intérêt s'est porté sur les Orotches. Les deux peuples avaient des origines mongoles. Ensuite, il s'est pris de passion pour les Aïnous, un véritable phénomène ethnologique.
Qui sont les Aïnous ? En dépit des recherches menées depuis deux siècles, les scientifiques n'ont toujours pas de réponse sur leurs origines et ils n'ont pu établir aucune filiation entre les Aïnous et un quelconque autre groupe ethnique. La découverte de ce peuple, au tournant du XIXe siècle, a fait sensation. Quelques-uns de ses représentants ont même été montrés comme curiosité à l'Exposition universelle de Londres, en 1910. Mais la science n'a pu percer le mystère qui les entourait. Désarmés, certains scientifiques ont élaboré les théories les plus fantasques. Les uns ont vu en eux une tribu disparue d'Israël (les Juifs d'Extrême-Orient ?), les autres les survivants d'une civilisation engloutie... En revanche, les Aïnous n'ont pas de doute quant à leurs propres origines. "Nous venons du Cosmos, envoyés par ceux qui habitent dans les nuages et qui dépêchent sur la Terre des soucoupes volantes." Ils montrent même les pistes d'atterrissage.
A quand remonterait leur arrivée ? On l'ignore. Ce qu'on sait, c'est qu'ils peuplaient l'archipel nippon, les Kouriles et Sakhaline depuis la nuit des temps. Les ancêtres des Japonais ont envahi le territoire aïnou à partir de la péninsule coréenne ; ils étaient primitifs, sanglants, haïssant tous ceux qui étaient différents. Et, chez les Aïnous, tout était différent. A commencer par leur morphologie. Ils n'appartiennent pas à la famille mongole ; ils sont blancs. Si l'on note aujourd'hui chez eux quelques traces mongoles, c'est la conséquence d'une longue colonisation japonaise. Elancés, dotés d'une bonne ossature, ils ont de grands yeux, non bridés, qui furent jadis bleus, paraît-il. Ils n'ont jamais développé d'écriture, même s'ils ont transmis oralement une riche littérature épique. On aurait ignoré tout cela si Bronislaw Pilsudski n'avait pas été là pour le décrire.
LES JAPONAIS DÉTRUISIRENT LES AÏNOUS AVEC UNE CRUAUTÉ BARBARE
Les Aïnous menaient une vie simple liée à la beauté - peut-être à cause de leurs croyances religieuses : ils étaient animistes. Ils trouvaient des éléments divins dans les forces de la nature, dans tout être vivant, mais aussi dans les objets qu'ils fabriquaient. C'est pourquoi la moindre chose devait être décorée pour avoir une âme. Le monde devenait harmonieux si la beauté intérieure de l'environnement créé par l'homme communiait avec la beauté de la nature, domaine des dieux... (Aujourd'hui, on appelle cela l'écologie.) Ils entraient en contact avec les dieux par des prières chantées que les chamans appelaient les "youkara". La vie des Aïnous était une suite de fêtes sans fin. La pêche, la chasse, l'artisanat, la construction, toutes ces activités étaient prétexte à réjouissances. Vêtus de costumes d'une rare beauté, ils dansaient en suivant un rythme soutenu. Parfois, ils se réunissaient en cercle pour écouter, en se tapant sur le ventre, une femme raconter des légendes, et cela pouvait durer plusieurs jours.
Les Russes exterminèrent les Aïnous d'abord aux Kouriles, puis à Sakhaline. Ils le firent froidement, avec un mépris hautain à l'encontre des "sauvages poilus", comme ils les appelaient. Les Japonais détruisirent cette civilisation avec une cruauté barbare. Jusqu'au début du XXe siècle, leur propagande présenta les Aïnous comme des sous-hommes primitifs, des hybrides issus du croisement d'un chien et d'une princesse mongole, et possédant une queue. Ils les pendaient par les cheveux, qu'ils portaient longs. Les Japonais pratiquèrent la politique des traités truqués, ils usèrent de ruses, de poisons. L'alcool et les maladies vénériennes, auparavant inconnus chez ce peuple, les décimèrent. Aujourd'hui, les Japonais se sentent redevables envers les Aïnous et ils font de réels efforts pour les aider.
Revenons en 1902. Le jeune ethnologue Pilsudski loge dans la meilleure cabane, chez le chef du village aïnou de Bafunke-Ainou. Il tombe amoureux de la nièce du chef, Chuhsama. La cérémonie de mariage n'est guère compliquée : les fiancés se regardent droit dans les yeux et consomment un même plat. Pilsudski entre ainsi dans la communauté aïnoue. Ses arrière-petites-filles sont toujours en vie. Malheureusement, la lignée masculine est éteinte.
En 1903, Pilsudski part en mission scientifique sur l'île d'Hokkaido, accompagné d'un compatriote, ancien déporté lui aussi, l'écrivain et ethnologue Waclaw Sieroszewski. Munis d'une caméra, d'un appareil photo et d'un phonographe, ils recueillent ce que l'on considère aujourd'hui comme les archives les plus importantes de la culture aïnoue. Sujets du tsar, ils sont priés de quitter le Japon à l'approche de la guerre [russo-japonaise de 1904-1905]. (Notons que, dans les bibliographies russes et soviétiques, les deux chercheurs figurent en tant que Russes, sans la moindre mention de leur nationalité polonaise.) Sieroszewski profite de l'occasion pour retourner en Pologne, c'est-à-dire en Galicie, où, dans un livre intitulé Chez les hommes poilus, il décrit ses pérégrinations au sein du peuple aïnou. Pilsudski revient à Sakhaline, non par loyauté envers le tsar, mais pour rejoindre sa famille. Après la victoire du Japon, la partie sud de l'île, où il habite, est occupée par les troupes nippones. Il prend la décision de partir. Les anciens ne lui permettent pas d'emmener son épouse, d'autant moins qu'elle est enceinte. Le 11 novembre 1905, Pilsudski quitte Sakhaline pour toujours. Il ne verra jamais sa fille Kiyo, qui naîtra après son départ.
Il séjourne d'abord au Japon, où il mène une vie sociale et politique très active. Plus tard, en faisant des détours par l'Amérique et par la France, il rentre en Pologne, en Galicie. Il vit à Cracovie et à Lvov avant de se fixer définitivement à Zakopane, dans les Tatras. Quand la guerre éclate, en 1914, il se réfugie à Vienne, puis en Suisse et enfin à Paris. Il tente de récupérer ses enregistrements, restés à Zakopane. On lui fait savoir qu'on ne les retrouve pas. Le 21 mai 1918, un homme tombe dans la Seine depuis le pont Mirabeau... Un suicide ? Une de ces crises de somnolence dont il souffre depuis son retour en Europe ? Le mystère persiste. En 1930, lors de la rénovation de son ancienne maison, à Zakopane, on découvre des coffres contenant 80 boîtes cylindriques en carton, remplies de rouleaux de cire complètement moisis. Les propriétaires de la maison font preuve d'ouverture d'esprit et ne jettent pas le tout à la décharge. C'est ainsi qu'ont été retrouvés les enregistrements de musique aïnoue faits par Pilsudski à Sakhaline et à Hokkaido. Mais plus personne n'était capable de les lire. Finalement, les boîtes ont été déposées dans les caves de l'université de Poznan, où elles ont dormi pendant cinquante ans. Entre-temps, un jeune linguiste, Alfred F. Majewicz, est parti en stage au Japon, où il a raconté l'histoire des enregistrements, seules preuves vivantes d'une culture pratiquement disparue.
Depuis l'époque de Pilsudski, les Japonais ont bien changé. Ils ont redécouvert les Aïnous [en 1993, 24 000 individus officiellement, en fait environ 100 000], reconnus comme phénomène ethnologique unique, et se sont mis à reconstituer leur culture, désormais à la mode, à partir des bribes qui en restaient. Grâce à Majewicz, les rouleaux sont retournés sur l'île d'Hokkaido. Et, dans les années 80, les ingénieurs japonais ont construit un lecteur laser pour pouvoir lire ces enregistrements. Les Aïnous retrouvrent une identité propre. Ils renaissent à une vitesse étonnante. Certains manuels scolaires, au Japon, citent Bronislaw Pilsudski comme le plus grand Polonais. Pour eux, Józef, le maréchal, n'est que son frère.
Stefan Szlachtycz
Salut,
Dans le prolongement de l'initiative d'Aristarque, je voudrais evoquer une collection de peintures conservees (mais pas exposees, malheureusement) au Musee des Beaux Arts et d'Archeologie de Besancon.
Il s'agit de la serie Ishû-retsuzô 夷酋列像 de Kakizaki Hakyô 蠣崎波響 qui compte les portraits de douze chefs ainous (onze hommes et une femme. Seulement 11 portraits sont conserves a Besancon, le douzieme a probablement ete detruit a cause d'un etat de deterioration avance) des regions de Menashi (Est de Hokkaido) et Kunashiri (Kouriles).
Cette serie de portraits a une valeur assez particuliere car elle a ete realisee a la suite d'une revolte d'Ainous connue sous le nom de revolte de Kunashiri et Menashi.
Contexte historique
Nous sommes a la fin du 18e siecle, l'ile de Hokkaido n'a pas encore ete completement colonisee par les Japonais. Le clan Matsumae dont la base est situe dans le sud de l'ile a le monopole des echanges commerciaux avec les Ainous. Ces echanges permettent aux Japonais d'obtenir des fourures ou des plumes d'oiseaux mais egalement des robes chinoises aux motifs de dragons et de nuages appelees Ezo-nishiki 蝦夷錦. Celles-ci proviennent des echanges que les Ainous entretiennent avec le continent, notamment via Sakhaline.
Ce commerce nippo-ainou genere d'importants benefices pour le clan Matsumae. De nombreux postes de commerce et de peche existent le long des cote d'Ezo (Hokkaido) de facon a faciliter ces echanges. En mai 1789, les Ainous des regions de Kunashiri et Menashi se revoltent contre ce qu'ils considerent etre des injustices commises par les marchands japonais. A cette occasion, ils tuent la totalite des Japonais presents, soit 71 personnes. Averti de ces emeutes, le clan Matsumae envoie 260 hommes dans cette region, mais plutot que de recourir a la force, il prefere s'en remettre a la mediation en faisant appel aux chefs ainous locaux. L'enquete menee par le clan revella bien les mauvais traitements et les injustices commises par les Japonais a l'egard des Ainous, mais les 37 Ainous ayant participe au meurtre des 71 Japonais furent condamnes et decapites.
Les 12 chefs ainous qui ont servi de mediateur au clan Matsumae ont prefere sacrifier leurs semblables (pour certains leurs fils) pour eviter un conflit ouvert avec les Japonais. Cet incident demontre en quelque sorte la domination que les Japonais commencaient a avoir sur le peuple ainou.
Pour l'anecdote, les Ainous de l'est de Hokkaido continuent aujourd'hui de prier a a memoire de leurs 37 camarades et des 71 Japonais assassines.
Portrait d'Ikotoy chef d'Akkeshi, serie Ishû-retsuzô.
Les portraits
Outre le detail des dessins et l'expression des visages, les premieres choses qui frappent l'oeil lorsque l'on regarde ces portraits sont les tenues des 12 chefs ainous. En effet, ils portent quasiment tous ces robes de hauts fonctionnaires chinois dites Ezo-nishiki, chose inhabituelle puisque les Ainous ne revetaient que rarement ces tenues. En fait, on pense que ces Ezo-nishiki ont ete rajoutes ulterieurement de facon a magnifier la representation des chefs ainous, et par consequent a renforcer l'aura du clan Matsumae auquel ils obeissaient. Cette serie est donc certainement empreinte d'une signification politique a l'attention du pouvoir shogunal.
Tout comme dans la plupart des representations japonaises d'Ainous, les douze chefs sont decrits de facon accentuer l'impression de barbarie de ce peuple dans l'imagination des Japonais : bras et jambes velus, cheveux ebouriffes, petites prunelles, etc.
Je precise que Kakizaki Hakyô etait l'un des dignitaires du clan Matsumae. Il n'a plus jamais fait de portraits d'Ainous apres cette serie.
Sources :
TAHARA Kaori, " Réflexions sur une série de peintures sur soie de Kakizaki Hakyô représentant des chefs ainu ", in Japon Pluriel 5. Actes du cinquième colloque de la Société française des études japonaises,
Arles, Éditions Philippe Picquier, 2004.
(J'ai egalement vu un reportage sur cette serie de portrait sur la NHK education le mois dernier, mais je ne me souviens pas du nom...)