Les Scythes : Peuple oublié
« Quand la peau est détachée du crâne, on la courroie à la main avec une côte de bœuf ; elle devient souple et le guerrier [scythe] s’en sert comme d’une nappe d’étoffe ; il la porte devant lui, suspendue à la bride de son cheval ; il s’en glorifie. Celui qui possède le plus de ces petites nappes de peau est réputé le plus vaillant. Plusieurs font de ces peaux des vêtements qu’ils cousent à la manière des casaques de cuir. (…) Tels sont, à ce sujet, leurs usages. »
Hérodote, Histoires
« Quel étrange peuple est-ce là ? » C’est la question qu’a dû se poser Darius, le roi des Perses, après avoir vu ses ennemis scythes délaisser les affaires sérieuses de la guerre pour disparaître brusquement à la poursuite d’un lièvre qu’ils avaient aperçus.
La même interrogation persiste dans l’esprit des hommes modernes civilisés alors que la recherche nous en fait savoir davantage sur cette étrange coutume des cavaliers nomades eurasiens.
De nouvelles études et l’examen de milliers de sites funéraires depuis vingt ans, dans la Russie du Sud et dans l’Altaï, nous ont permis de nous former une image bien plus complète de ce vigoureux peuple nomade amateur de chevaux et inventeur d’un style d’art animalier unique, cette race hors du commun qui a transmis au monde civilisé l’usage du pantalon et l’art de l’équitation.
Le pays du mythe et de l’or
Le trait le plus frappant chez les Scythes est peut-être l’énorme quantité d’or qu’ils portaient sur eux et qu’ils utilisaient. La tradition antique nous raconte l’histoire des Arimaspes de Scythie, le peuple des hommes à un seul œil menant une guerre perpétuelle avec les griffons gardiens de l’or. Cet or provient sans nul doute des riches gisements de la région de l’Altaï. Les Scythes portaient couramment des parures et des ceintures dorées. Des plaques d’or étaient cousues à leurs vêtements et leurs armes scintillaient d’or. Les quantités d’offrandes d’or recelées par les grands tertres funéraires des rois scythes font toujours l’étonnement des archéologues.
D’où venaient-ils ? La tradition scythe les décrit comme descendant des trois fils d’un certain Targitas, un homme à la naissance surnaturelle habitant la région de la mer Noire. Ces trois frères gouvernaient ensemble le pays lorsque quatre ustensiles d’or, une charrue, un joug, une hache de bataille et une coupe, tombèrent du ciel et commencèrent à s’embraser. Colaxaïs, le plus jeune des trois frères, fut le seul d’entre eux à pouvoir à ramasser ces objets brûlants, ce qui fit de lui le seul maître du royaume des Scythes.
Une autre légende fondatrice nous est racontée par Diodore de Sicile au premier siècle avant notre ère. Les Scythes vivaient d’après lui « en très petit nombre près de l’Araxe…[et] s’établirent dans un pays comprenant les montagnes allant jusqu’au Caucase, les plaines côtières près de l’Océan (la mer Caspienne) et du lac Mœtis (la mer d’Azov), et d’autres territoires s’étendant jusqu’au Tanaïs (le Don). Scythès naquit de l’union de Zeus et d’une déesse mi-femme mi-serpent et donna le nom de Scythes à son peuple. » Ses descendants, nommés Pal et Naps, furent les ancêtres de deux peuples apparentés, les pals et les naps. « Ils se conquirent un pays derrière le Tanaïs et s’étendant jusqu’au Nil égyptien. » (Diodore II, 43).
Histoire
Il est problématique de dater l’évolution des premiers Scythes dans la mesure où ils n’ont créé leur style d’art distinctif qu’au VIe siècle avant Jésus-Christ. A. I. Melioukova a suggéré qu’ils descendaient de tribus de culture srubnaya qui, entre le milieu du second millénaire et la fin du VIIe siècle avant notre ère, se sont déplacées en plusieurs vagues des steppes situées entre la Volga et l’Oural vers le nord de la mer Noire, où ils assimilèrent les Cimmériens installés dans la région. Les Scythes apparaissent pour la première fois dans l’histoire au VIIe siècle comme les alliés des Assyriens contre les Cimmériens, qu’ils avaient eux-mêmes refoulés vers le Sud en s’installant sur leur territoire. Le roi scythe Bartatoua épousa une princesse assyrienne en 674 avant Jésus-Christ et les deux peuples demeurèrent alliés. Les Scythes et les Assyriens vainquirent ensemble les Mèdes de la mer Caspienne. Mais ces derniers parvinrent à les chasser d’Asie occidentale et à les faire revenir dans les steppes pontiques à la fin du siècle.
Un événement très important, dont Hérodote nous fait un compte rendu détaillé, se produisit dans la steppe en 514 avant Jésus-Christ. Le troisième grand roi des Perses, Darius, décida d’envahir la Scythie. Commandée par Darius lui-même, une armée perse de 700 000 hommes traversa le Danube en direction des steppes russes. Les Scythes prirent le parti de battre en retraite devant leurs poursuivants perses et Darius ne parvint pas à les forcer à affronter son armée en bataille rangée. Les Scythes persévérèrent dans leur tactique de repli et, lorsque Darius demanda à leur roi de combattre, celui-ci lui répliqua :
« Je n’agis pas aujourd’hui autrement que selon ma coutume, même pendant la paix ; je vais, au reste, t’apprendre pourquoi je ne te livre pas bataille incontinent. Nous ne possédons ni villes, ni campagnes cultivées pour lesquelles, de peur que tu ne les prennes et ne les ravages, nous soyons pressés d’en venir aux mains. Si toutefois tu veux absolument tenter le sort des armes, nous avons les sépultures de nos ancêtres ; allez, cherchez-les, et si vous les trouvez, essayez de les outrager : vous saurez alors si nous combattrons pour ces sépultures ou si nous ne combattrons pas. »
Darius dut mener une guerre étrange. Il ne pouvait rien capturer ni conquérir, ni ville, ni bâtiment, ni butin, rien que la steppe infinie. Il se battait contre du vent. Il n’eut d’autre alternative que de repartir. Les Scythes harcelèrent constamment son armée jusqu’au Danube. Il n’entreprit plus jamais d’autre campagne au nord en passant par l’Europe et les Scythes dominèrent la steppe russe méridionale et continuèrent au siècle suivant leur expansion vers l’ouest.
De la fin du VIIe siècle au IIIe siècle avant Jésus-Christ, les Scythes occupèrent les steppes du nord de la mer Noire, entre le Don à l’est et le Danube à l’ouest. Une tribu particulière, celle des Scythes royaux, se distingue de toutes les tribus scythes par son rôle dominant, les Scythes nomades, les Callipides, les Alazons, les Scythes cultivateurs et les Scythes laboureurs lui étant soumis. Les Scythes royaux et les Scythes nomades menaient une vie véritablement nomade et les Callipides et les Alazons une existence semi-sédentaire. Les Scythes laboureurs étaient de toute évidence des agriculteurs sédentaires. Hérodote nous dit que les Callipides ou Gréco-scythes vivaient non loin d’Olbia, à l’embouchure du Boug. Au nord, on trouvait les Alazons, puis les Scythes laboureurs, entre le Dniepr et le Boug. Les Scythes nomades avaient pour territoire les steppes de la région de la mer d’Azov et les deux rives du Dniepr. Les historiens pensent pour la plupart qu’ils occupaient les deux rives du Boug inférieur jusqu’à la Konka tandis que les Scythes royaux parcouraient les territoires situés plus à l’est et au sud jusqu’au Don. Enfin, les Scythes nomades de l’Altaï sibérien sont appelés Scythes apparentés ou Scythes orientaux.
Le royaume des Scythes atteignit son apogée économique, politique, sociale et culturelle au IVe siècle avant notre ère. De nombreux nomades se sédentarisèrent au nord de la mer Noire et, les Scythes eurent pour capitale économique, politique et commerciale Kamenskoe Gorodisce durant le IVe siècle et jusqu’à la première moitié du IIIe siècle. Le grand roi Atéas unifia toutes les tribus scythes et étendit son territoire jusqu’à la frontière thrace sur la rive droite du Danube. Atéas fut tué en 339 avant Jésus-Christ, à l’âge de quatre-vingt-dix ans, au cours d’une bataille contre Philippe de Macédoine. Le royaume des Scythes n’en resta pas moins solide et prospère. Aucune menace extérieure ne put le déstabiliser jusqu’à ce que les Celtes et les Thraces l’envahissent à l’ouest, et les Sarmates à l’est, à partir de la deuxième moitié du IIIe siècle avant notre ère. Le royaume scythe fut alors absorbé par d’autres puissances nomades et disparut de l’histoire.
La langue
Les Scythes étaient illettrés et n’ont pas laissé de trace écrite. Hérodote nous a toutefois transmis quelques rares mots scythes. D’après lui, « pata » signifie tuer, « spou » œil, « arima » un, et « oior » homme. Ces quelque mots ont permis aux philologues de définir le dialecte scythe comme une langue indo-européenne préhistorique.
La domestication des chevaux
Les Scythes ont été les premiers cavaliers nomades à attirer l’attention des historiens. S’ils n’ont pas été les premiers à domestiquer le cheval, ils ont été parmi les premiers, sinon le premier peuple d’Asie centrale à apprendre à monter à cheval. Leur succès guerrier était dû au fait que leurs soldats étaient des cavaliers. Leur incursion en Asie eut pour conséquence de faire rapidement adopter et maîtriser la technique de l’équitation aux populations de l’ensemble du Moyen-Orient.
Bien qu’utilisant des mors sophistiqués, les Scythes ne connaissaient pas l’usage de l’étrier et chevauchaient sur des tapis de selle, se fiant à leur prise et à leur équilibre. Ils se révélaient néanmoins de redoutables cavaliers lors des combats.
Le mode de vie dans les steppes
Les Scythes étaient célèbres pour leurs coutumes tribales sanglantes. Les guerriers ne se contentaient pas de couper la tête de leurs ennemis morts mais faisaient des coupes recouvertes de cuir du crâne de leurs ennemis. Ils bordaient d’or ces trophées macabres et les exhibaient fièrement pour impressionner leurs hôtes. Les Grecs antiques prêtaient à la société scythe un caractère matriarcal que démentent toutefois les découvertes archéologiques. Dominée par les hommes, la société scythe était traditionnellement polygame. Un Scythe riche pouvait prendre plusieurs femmes qui pouvaient à sa mort revenir à son fils ou à son frère. Les femmes scythes voyageaient dans des chariots accompagnées de leurs enfants et n’avaient que peu de pouvoir en dehors de leur foyer, à la différence de leurs voisines Sarmates, qui chevauchaient et combattaient à l’égal des hommes. Certains spécialistes suggèrent cependant qu’elles ont pu mener une vie plus active et plus influente à une certaine époque.
L’abondance du poisson et du gibier empêchait toute pénurie de nourriture. Le régime de base des Scythes consistait en koumis, une sorte de lait de jument fermenté resté populaire en Asie centrale, en de grandes quantités de fromages, et en légumes comme l’oignon, l’ail et les haricots. Ils préparaient la viande en ragoûts. En matière d’hygiène, Hérodote nous apprend qu’ils ne se lavaient pas avec de l’eau, mais que les femmes utilisaient une pâte de cyprès, de cèdre et d’arbre à encens broyés qu’elles s’appliquaient sur le visage et sur le corps : « Ce cataplasme leur donne une bonne odeur ; de plus, lorsque le lendemain elles l’ôtent, elles sont propres et fraîches. » Les Scythes passent pour avoir été passionnés. C’étaient des hommes barbus, aux yeux noirs enfoncés dans les orbites et à la longue chevelure emmêlée par le vent. Ils furent parmi les premiers peuples à porter des pantalons, ce qui s’accordait avec leur style de vie de cavaliers. Ils portaient des bottes souples avec des talons. La dépouille gelée vieille de deux mille ans retrouvée en 1947 en Sibérie nous révèle qu’ils aimaient se recouvrir le corps de tatouages élaborés.
La religion
Les Scythes n’avaient ni temple, ni autels ou images religieuses, ni évidemment de prêtres. On sait qu’ils recouraient au chamanisme pour leur pratique religieuse, à l’instar des autres nomades du nord. Les chamans avaient pour rôle de commercer avec le monde des esprits et de conseiller les rois et les chefs. En gens superstitieux, les Scythes croyaient en la sorcellerie, en la magie et dans le pouvoir des amulettes. Les chamans scythes les plus honorés venaient de familles particulières. C’étaient des hommes efféminées appelés Enarées, ce qui signifie « homme-femme » ou demi-homme », qui parlaient d’une voix de fausset et portaient des vêtements de femmes.
Les rites mortuaires
Chaque décès chez les Scythes donnait lieu à un deuil prolongé et démonstratif. A la mort d’un roi, toutes les tribus observaient un deuil extrême de quarante jours. Les hommes de la tribu dominante, les Scythes royaux, se rasaient les cheveux et se lacéraient les oreilles, le front, le nez et les bras. Après avoir enterré le roi avec ses armes les meilleures et ses biens les plus précieux, on étranglait une de ses concubines, son échanson, son cuisinier, son valet, son messager et ses plus beaux chevaux pour mettre tous ces corps à côté du sien. On recouvrait ensuite la tombe d’un tumulus de vingt mètres.
Les funérailles n’en étaient pas finies pour autant. Un an plus tard, on pouvait choisir jusqu’à cinquante jeunes ayant directement servi le roi pour les étrangler et les enterrer en cercle autour de la tombe royale.
L’art animalier
Le compte rendu d’Hérodote sur les guerriers scythes comporte une lacune en ne mentionnant pas leur forme d’art, qui témoigne d’une force et d’une vitalité étonnantes.
Les Scythes inventèrent vers le VIe siècle avant Jésus-Christ un style artistique fait de dessins et d’ornements à base de motifs naturalistes animaliers.
Leurs animaux favoris étaient le cerf, le cheval, le bouquetin, le sanglier, l’ours, le loup, les félins, l’aigle et le poisson. Le style animalier des Scythes se répandit chez tous les nomades cavaliers jusqu’aux confins de la Chine à la fin du premier millénaire avant notre ère.
Les sépultures et les tombes scythes nous ont livré une abondance d’objets exceptionnels et d’une grande richesse, notamment dans les sites de Pazyryk, dans les montagnes de l’Altaï en Sibérie du centre-sud, et de Kul Oba, dans le bassin du Kouban au nord de la mer Noire.
« Quand la peau est détachée du crâne, on la courroie à la main avec une côte de bœuf ; elle devient souple et le guerrier [scythe] s’en sert comme d’une nappe d’étoffe ; il la porte devant lui, suspendue à la bride de son cheval ; il s’en glorifie. Celui qui possède le plus de ces petites nappes de peau est réputé le plus vaillant. Plusieurs font de ces peaux des vêtements qu’ils cousent à la manière des casaques de cuir. (…) Tels sont, à ce sujet, leurs usages. »
Hérodote, Histoires
« Quel étrange peuple est-ce là ? » C’est la question qu’a dû se poser Darius, le roi des Perses, après avoir vu ses ennemis scythes délaisser les affaires sérieuses de la guerre pour disparaître brusquement à la poursuite d’un lièvre qu’ils avaient aperçus.
La même interrogation persiste dans l’esprit des hommes modernes civilisés alors que la recherche nous en fait savoir davantage sur cette étrange coutume des cavaliers nomades eurasiens.
De nouvelles études et l’examen de milliers de sites funéraires depuis vingt ans, dans la Russie du Sud et dans l’Altaï, nous ont permis de nous former une image bien plus complète de ce vigoureux peuple nomade amateur de chevaux et inventeur d’un style d’art animalier unique, cette race hors du commun qui a transmis au monde civilisé l’usage du pantalon et l’art de l’équitation.
Le pays du mythe et de l’or
Le trait le plus frappant chez les Scythes est peut-être l’énorme quantité d’or qu’ils portaient sur eux et qu’ils utilisaient. La tradition antique nous raconte l’histoire des Arimaspes de Scythie, le peuple des hommes à un seul œil menant une guerre perpétuelle avec les griffons gardiens de l’or. Cet or provient sans nul doute des riches gisements de la région de l’Altaï. Les Scythes portaient couramment des parures et des ceintures dorées. Des plaques d’or étaient cousues à leurs vêtements et leurs armes scintillaient d’or. Les quantités d’offrandes d’or recelées par les grands tertres funéraires des rois scythes font toujours l’étonnement des archéologues.
D’où venaient-ils ? La tradition scythe les décrit comme descendant des trois fils d’un certain Targitas, un homme à la naissance surnaturelle habitant la région de la mer Noire. Ces trois frères gouvernaient ensemble le pays lorsque quatre ustensiles d’or, une charrue, un joug, une hache de bataille et une coupe, tombèrent du ciel et commencèrent à s’embraser. Colaxaïs, le plus jeune des trois frères, fut le seul d’entre eux à pouvoir à ramasser ces objets brûlants, ce qui fit de lui le seul maître du royaume des Scythes.
Une autre légende fondatrice nous est racontée par Diodore de Sicile au premier siècle avant notre ère. Les Scythes vivaient d’après lui « en très petit nombre près de l’Araxe…[et] s’établirent dans un pays comprenant les montagnes allant jusqu’au Caucase, les plaines côtières près de l’Océan (la mer Caspienne) et du lac Mœtis (la mer d’Azov), et d’autres territoires s’étendant jusqu’au Tanaïs (le Don). Scythès naquit de l’union de Zeus et d’une déesse mi-femme mi-serpent et donna le nom de Scythes à son peuple. » Ses descendants, nommés Pal et Naps, furent les ancêtres de deux peuples apparentés, les pals et les naps. « Ils se conquirent un pays derrière le Tanaïs et s’étendant jusqu’au Nil égyptien. » (Diodore II, 43).
Histoire
Il est problématique de dater l’évolution des premiers Scythes dans la mesure où ils n’ont créé leur style d’art distinctif qu’au VIe siècle avant Jésus-Christ. A. I. Melioukova a suggéré qu’ils descendaient de tribus de culture srubnaya qui, entre le milieu du second millénaire et la fin du VIIe siècle avant notre ère, se sont déplacées en plusieurs vagues des steppes situées entre la Volga et l’Oural vers le nord de la mer Noire, où ils assimilèrent les Cimmériens installés dans la région. Les Scythes apparaissent pour la première fois dans l’histoire au VIIe siècle comme les alliés des Assyriens contre les Cimmériens, qu’ils avaient eux-mêmes refoulés vers le Sud en s’installant sur leur territoire. Le roi scythe Bartatoua épousa une princesse assyrienne en 674 avant Jésus-Christ et les deux peuples demeurèrent alliés. Les Scythes et les Assyriens vainquirent ensemble les Mèdes de la mer Caspienne. Mais ces derniers parvinrent à les chasser d’Asie occidentale et à les faire revenir dans les steppes pontiques à la fin du siècle.
Un événement très important, dont Hérodote nous fait un compte rendu détaillé, se produisit dans la steppe en 514 avant Jésus-Christ. Le troisième grand roi des Perses, Darius, décida d’envahir la Scythie. Commandée par Darius lui-même, une armée perse de 700 000 hommes traversa le Danube en direction des steppes russes. Les Scythes prirent le parti de battre en retraite devant leurs poursuivants perses et Darius ne parvint pas à les forcer à affronter son armée en bataille rangée. Les Scythes persévérèrent dans leur tactique de repli et, lorsque Darius demanda à leur roi de combattre, celui-ci lui répliqua :
« Je n’agis pas aujourd’hui autrement que selon ma coutume, même pendant la paix ; je vais, au reste, t’apprendre pourquoi je ne te livre pas bataille incontinent. Nous ne possédons ni villes, ni campagnes cultivées pour lesquelles, de peur que tu ne les prennes et ne les ravages, nous soyons pressés d’en venir aux mains. Si toutefois tu veux absolument tenter le sort des armes, nous avons les sépultures de nos ancêtres ; allez, cherchez-les, et si vous les trouvez, essayez de les outrager : vous saurez alors si nous combattrons pour ces sépultures ou si nous ne combattrons pas. »
Darius dut mener une guerre étrange. Il ne pouvait rien capturer ni conquérir, ni ville, ni bâtiment, ni butin, rien que la steppe infinie. Il se battait contre du vent. Il n’eut d’autre alternative que de repartir. Les Scythes harcelèrent constamment son armée jusqu’au Danube. Il n’entreprit plus jamais d’autre campagne au nord en passant par l’Europe et les Scythes dominèrent la steppe russe méridionale et continuèrent au siècle suivant leur expansion vers l’ouest.
De la fin du VIIe siècle au IIIe siècle avant Jésus-Christ, les Scythes occupèrent les steppes du nord de la mer Noire, entre le Don à l’est et le Danube à l’ouest. Une tribu particulière, celle des Scythes royaux, se distingue de toutes les tribus scythes par son rôle dominant, les Scythes nomades, les Callipides, les Alazons, les Scythes cultivateurs et les Scythes laboureurs lui étant soumis. Les Scythes royaux et les Scythes nomades menaient une vie véritablement nomade et les Callipides et les Alazons une existence semi-sédentaire. Les Scythes laboureurs étaient de toute évidence des agriculteurs sédentaires. Hérodote nous dit que les Callipides ou Gréco-scythes vivaient non loin d’Olbia, à l’embouchure du Boug. Au nord, on trouvait les Alazons, puis les Scythes laboureurs, entre le Dniepr et le Boug. Les Scythes nomades avaient pour territoire les steppes de la région de la mer d’Azov et les deux rives du Dniepr. Les historiens pensent pour la plupart qu’ils occupaient les deux rives du Boug inférieur jusqu’à la Konka tandis que les Scythes royaux parcouraient les territoires situés plus à l’est et au sud jusqu’au Don. Enfin, les Scythes nomades de l’Altaï sibérien sont appelés Scythes apparentés ou Scythes orientaux.
Le royaume des Scythes atteignit son apogée économique, politique, sociale et culturelle au IVe siècle avant notre ère. De nombreux nomades se sédentarisèrent au nord de la mer Noire et, les Scythes eurent pour capitale économique, politique et commerciale Kamenskoe Gorodisce durant le IVe siècle et jusqu’à la première moitié du IIIe siècle. Le grand roi Atéas unifia toutes les tribus scythes et étendit son territoire jusqu’à la frontière thrace sur la rive droite du Danube. Atéas fut tué en 339 avant Jésus-Christ, à l’âge de quatre-vingt-dix ans, au cours d’une bataille contre Philippe de Macédoine. Le royaume des Scythes n’en resta pas moins solide et prospère. Aucune menace extérieure ne put le déstabiliser jusqu’à ce que les Celtes et les Thraces l’envahissent à l’ouest, et les Sarmates à l’est, à partir de la deuxième moitié du IIIe siècle avant notre ère. Le royaume scythe fut alors absorbé par d’autres puissances nomades et disparut de l’histoire.
La langue
Les Scythes étaient illettrés et n’ont pas laissé de trace écrite. Hérodote nous a toutefois transmis quelques rares mots scythes. D’après lui, « pata » signifie tuer, « spou » œil, « arima » un, et « oior » homme. Ces quelque mots ont permis aux philologues de définir le dialecte scythe comme une langue indo-européenne préhistorique.
La domestication des chevaux
Les Scythes ont été les premiers cavaliers nomades à attirer l’attention des historiens. S’ils n’ont pas été les premiers à domestiquer le cheval, ils ont été parmi les premiers, sinon le premier peuple d’Asie centrale à apprendre à monter à cheval. Leur succès guerrier était dû au fait que leurs soldats étaient des cavaliers. Leur incursion en Asie eut pour conséquence de faire rapidement adopter et maîtriser la technique de l’équitation aux populations de l’ensemble du Moyen-Orient.
Bien qu’utilisant des mors sophistiqués, les Scythes ne connaissaient pas l’usage de l’étrier et chevauchaient sur des tapis de selle, se fiant à leur prise et à leur équilibre. Ils se révélaient néanmoins de redoutables cavaliers lors des combats.
Le mode de vie dans les steppes
Les Scythes étaient célèbres pour leurs coutumes tribales sanglantes. Les guerriers ne se contentaient pas de couper la tête de leurs ennemis morts mais faisaient des coupes recouvertes de cuir du crâne de leurs ennemis. Ils bordaient d’or ces trophées macabres et les exhibaient fièrement pour impressionner leurs hôtes. Les Grecs antiques prêtaient à la société scythe un caractère matriarcal que démentent toutefois les découvertes archéologiques. Dominée par les hommes, la société scythe était traditionnellement polygame. Un Scythe riche pouvait prendre plusieurs femmes qui pouvaient à sa mort revenir à son fils ou à son frère. Les femmes scythes voyageaient dans des chariots accompagnées de leurs enfants et n’avaient que peu de pouvoir en dehors de leur foyer, à la différence de leurs voisines Sarmates, qui chevauchaient et combattaient à l’égal des hommes. Certains spécialistes suggèrent cependant qu’elles ont pu mener une vie plus active et plus influente à une certaine époque.
L’abondance du poisson et du gibier empêchait toute pénurie de nourriture. Le régime de base des Scythes consistait en koumis, une sorte de lait de jument fermenté resté populaire en Asie centrale, en de grandes quantités de fromages, et en légumes comme l’oignon, l’ail et les haricots. Ils préparaient la viande en ragoûts. En matière d’hygiène, Hérodote nous apprend qu’ils ne se lavaient pas avec de l’eau, mais que les femmes utilisaient une pâte de cyprès, de cèdre et d’arbre à encens broyés qu’elles s’appliquaient sur le visage et sur le corps : « Ce cataplasme leur donne une bonne odeur ; de plus, lorsque le lendemain elles l’ôtent, elles sont propres et fraîches. » Les Scythes passent pour avoir été passionnés. C’étaient des hommes barbus, aux yeux noirs enfoncés dans les orbites et à la longue chevelure emmêlée par le vent. Ils furent parmi les premiers peuples à porter des pantalons, ce qui s’accordait avec leur style de vie de cavaliers. Ils portaient des bottes souples avec des talons. La dépouille gelée vieille de deux mille ans retrouvée en 1947 en Sibérie nous révèle qu’ils aimaient se recouvrir le corps de tatouages élaborés.
La religion
Les Scythes n’avaient ni temple, ni autels ou images religieuses, ni évidemment de prêtres. On sait qu’ils recouraient au chamanisme pour leur pratique religieuse, à l’instar des autres nomades du nord. Les chamans avaient pour rôle de commercer avec le monde des esprits et de conseiller les rois et les chefs. En gens superstitieux, les Scythes croyaient en la sorcellerie, en la magie et dans le pouvoir des amulettes. Les chamans scythes les plus honorés venaient de familles particulières. C’étaient des hommes efféminées appelés Enarées, ce qui signifie « homme-femme » ou demi-homme », qui parlaient d’une voix de fausset et portaient des vêtements de femmes.
Les rites mortuaires
Chaque décès chez les Scythes donnait lieu à un deuil prolongé et démonstratif. A la mort d’un roi, toutes les tribus observaient un deuil extrême de quarante jours. Les hommes de la tribu dominante, les Scythes royaux, se rasaient les cheveux et se lacéraient les oreilles, le front, le nez et les bras. Après avoir enterré le roi avec ses armes les meilleures et ses biens les plus précieux, on étranglait une de ses concubines, son échanson, son cuisinier, son valet, son messager et ses plus beaux chevaux pour mettre tous ces corps à côté du sien. On recouvrait ensuite la tombe d’un tumulus de vingt mètres.
Les funérailles n’en étaient pas finies pour autant. Un an plus tard, on pouvait choisir jusqu’à cinquante jeunes ayant directement servi le roi pour les étrangler et les enterrer en cercle autour de la tombe royale.
L’art animalier
Le compte rendu d’Hérodote sur les guerriers scythes comporte une lacune en ne mentionnant pas leur forme d’art, qui témoigne d’une force et d’une vitalité étonnantes.
Les Scythes inventèrent vers le VIe siècle avant Jésus-Christ un style artistique fait de dessins et d’ornements à base de motifs naturalistes animaliers.
Leurs animaux favoris étaient le cerf, le cheval, le bouquetin, le sanglier, l’ours, le loup, les félins, l’aigle et le poisson. Le style animalier des Scythes se répandit chez tous les nomades cavaliers jusqu’aux confins de la Chine à la fin du premier millénaire avant notre ère.
Les sépultures et les tombes scythes nous ont livré une abondance d’objets exceptionnels et d’une grande richesse, notamment dans les sites de Pazyryk, dans les montagnes de l’Altaï en Sibérie du centre-sud, et de Kul Oba, dans le bassin du Kouban au nord de la mer Noire.