L'utilisation du mot dominant permet d'expliquer pourquoi l'école n'a jamais été ce qu'en voulaient les dits dominants.
Très bourdieusien, comme concept. Très daté.
J'explique vite fait. Il y avait depuis le début 19e deux grandes écoles en sociologie: le déterminisme (Durkheim, Bourdieu...) et l'individualisme (Weber et sa suite). En disant ça, j'omets tout un pan de la sociologie, mais qui n'était pas reconnu en France. Du coup, c'est le déterminisme qui a eu le vent en poupe pendant tout le 20e avec Bourdieu en leader charismatique (1950-1990, mettons).
Mais depuis au moins 2010, je crois que pas mal de sociologues (sauf les américains qui viennent de découvrir Bourdieu qui les excite à mort... Tu m'étonnes, c'est pratique pour maintenir des choses en place) sont OK pour dire qu'on ne peut pas considérer que l'un existe sans l'autre. Oui, il y a des influences de couches sociales supérieures et le social influe sur l'individuel. Mais l'inverse est également vrai.
En conséquence de quoi, dire "L'école n'a jamais été que ce que les dominants voulaient qu'elle soit", c'est pour ainsi dire un "fait social". Les "dominants" veulent peut-être effectivement une école comme tu l'évoques (quoiqu'il me semble que ce n'était certainement pas la vision d'un Ferry, Jules pas l'autre idiot, mais que cette logique d'action soit plus récente que ça).
Donc ils transforment peut-être cette école pour en faire ce que tu évoques. Mais. Les "dominés", pour conserver le champ dans lequel tu nous situes, ne sont pas des moutons. Eux aussi ont leur conception de l'école. Leurs conceptions, même, selon les sous groupes sociaux.
Les populations de gauche pourraient caricaturalement considérer que l'école doit former un citoyen éveillé et intellectuellement évolué. Certaines populations attendent de l'école qu'elle prenne carrément le rôle de parent et en attendent tout...
Si les "dominants" n'ont pas réussi à faire ce qu'ils voulaient, c'est tout simplement parce que les "dominés" ne le sont pas tant que ça.
Que la tendance actuelle soit celle qui mène l'école vers la fabrique d'abrutis sans trop de cerveau rempli pour faire de la belle main d'oeuvre, je veux bien. Mais si c'était le cas, j'ai l'impression qu'il n'y aurait pas de chômage. Mais puisqu'il n'y a plus de travail ou presque pour les basses œuvres, ce raisonnement se questionne.
Puis à un moment donné, y a juste le fait que les Etats, quels qu'ils soient, ont un besoin assez important de "grosses têtes", d'intellectuels et de hauts diplômés dans la compétition économique que tu évoques.
Que le "niveau baisse" à l'école, c'est logique aussi. Je m'autocite (pp. 275-276):
"Si le niveau élitiste continue de progresser alors que selon les représentations collectives
le niveau baisse, ce que Dubet lui-même tend à confirmer, alors cela est tout à fait
comparable avec le milieu scolaire (Je compare la situation de l'équitation à celle de l'école dans ce passage). Passer d’une institution élitiste, formant un certain
nombre de personnes, formant une élite, à un outil avec le collège unique, visant à former 80%
d’une promotion au baccalauréat suppose un certain nombre de sacrifices. Même si le niveau
de l’élite tend à augmenter, le niveau général tendra à baisser pour permettre l’acquisition
d’un même niveau à toute une population en dépit des différences interindividuelles".
Je tends à penser que les vrais problèmes de l'école et de l'ensemble de la société actuelle, c'est d'une part la reproduction des élites en cercle fermé (là oui, Bourdieu fonctionne bien) avec tout ce que ça implique dans un fonctionnement démocratique (notamment son autodestruction à terme), d'autre part le fonctionnement totalement hermétique des institutions, avec des "hauts fonctionnaires" qui sont stables et prennent les décisions qu'incarnent les politiques de passage, en totale déconnexion avec la réalité.
L'économie n'est pas une religion, c'est un système; le problème n'est pas potentiellement ce système, mais la manière avec laquelle il est appréhendé, renforçant la domination des élites financières (puis faut reconnaître que les philosophes qui squattent la scène médiatique sont assez pathétiques, de BHL à Attali, Finkelkraut et compagnie).
Je ne suis vraiment pas persuadé qu'un changement de paradigme faisant disparaître le système économique soit envisageable, ne serait-ce que par la résistance au changement.
La vraie croyance, par contre, c'est celle qui colle à la manière dont est envisagée l'économie actuellement avec toutes les conséquences que l'on connaît.