Je corrige legerement ce que tu dis Savior, a propos des tournures de phrases. Le japonais courant est tres, tres, tres pauvre (j'en ai fait une depression les premiers mois ou je suis arrive).
Ce dont le japonais abuse pour faire varier l'expression, ce sont :
1) Les particules finales (zo, ze) et les abreviations (tous les "desu" finaux changes en "'su", c'est typiquement de Tokyo).
2) Les regionalismes. En effet, chaque prefecture du Japon ou presque a un parler tres specifique, avec son vocabulaire et ses specificites grammaticales. Tout le monde se comprend plus ou moins, meme si la "reference" (celle enseignee au niveau international et national j'imagine) est le parler de Tokyo. Il faut toutefois avouer que le parler de Kyushu et celui d'Okinawa sont souvent incomprehensibles, et sont a la limite de langues specifiques (imaginez le Breton). A rendre dans une traduction, c'est impossible.
Par exemple, HeartGold et SoulSilver se deroulent dans le Kansai (Japon de l'ouest). Que faire ? Traduire tout en parler marseillais ? Pas possible. Donc, on ecrit tout en francais normal, et quand un personnage parle avec des regionalismes vraiment "paysans", on le fait parler "paysan" en francais. Nous avions eu un debat avec le Japon a ce sujet pour leur faire comprendre que non, nous ne pouvions adapter ce trait, et que les regionalismes francais n'etaient pas facilement compris partout. En France, les differences sont marquees surtout par des accents, et quelques expressions. Le breton, le corse, l'occitan, le correzien, le ch'ti, ce sont des "langues etrangeres".
3) Les niveaux de langage ou, plutot, les degres de correction. Cela passe par les fameux suffixes de politesse, comme le choix entre "san", "kun", "chan", "sama" et j'en passe, le choix des verbes et des terminaisons verbales (si elles font 3 lignes, c'est generalement le signe d'une deference outree).
4) Les mots a la mode. Le japonais publie tous les ans un dictionnaire de mots populaires utilises dans les medias, par le public, etc. La plupart d'entre eux ont une duree de vie tres, tres courte. D'autres durent plus lontemps. Quelques croustillants exemples de cette annee : un intello se dit インテリ系 (Interi-kei, litteralement, abbreviation d'intelligent + le groupe). Vient de sortir 隠テリ, qui se lit interi, mais avec le kanji de "cacher" pour la syllabe "in". Litteralement, c'est une personne qui a l'air demeuree mais qui a en realite un gros QI. テポル (Teporu) veut dire faire ce qu'on veut sans se soucier des contre-avis externes. Cela vient du nom des missiles Tepodon tires par la Coree du Nord, auquel on a ajoute le suffixe -ru pour en faire un verbe. Pour traduire ce genre de choses, soit on decide de se la jouer createur de mots-valises, soit on essaye d'inventer (ou de reprendre) une formule de type cinema qui fera mouche, dans le meilleur des cas. Sinon, on traduit "platement" l'idee.
Les tournures qui sont a la base du francais, comme les periphrases, les images, l'emphase et les doubles sens passent tres mal (ou pas du tout) en japonais.
Alors, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit : le japonais ecrit peut etre absolument brillant, mais c'est souvent limite a la litterature ou a la poesie. Ou alors, et c'est une methode courante dans les mangas, on fait de tres belles choses grace aux 3 systemes d'ecriture existants.
Un exemple tout bete tire de Saint Seiya. L'attaque de Deathtoll avec le cercueil, ca s'appelle Omerta et ca s'ecrit je crois 沈黙棺, donc ca devrait se prononcer Chinmoku no hitsugi, soit le cercueil du silence. On force une prononciation sur des caracteres que tout le monde peut lire et comprendre, et ca donne un niveau de comprehension supplementaire. C'est comme, dans un texte poetique, de forcer la lecture Kokoro (le coeur, l'ame) sur le caractere pour la maison, le chez-soi (家). Le rendu est vraiment poignant.
Bref. Les principaux traits de differenciation dans les dialogues japonais ne passent pas en francais, ou risquent de faire tres artificiel (meme si, a petite dose, on peut bien rigoler. Dans Noir et Blanc, la vieille qui raconte l'histoire de Boreas et Fulguris utilise un francais devoye base sur le correzien que j'ai entendu pendant toute mon enfance, comme le pecheur du club "les pecheurs ont la peche" parle en marseillais caricatural). Si on traduit le texte en francais tel quel, il n'a plus aucune saveur. Vraiment. Les personnages parlent tous, pour des raisons techniques, de maniere uniforme. Et les dialogues sont d'une terrible platitude pour un lecteur francais, mais parce que le japonais est comme cela a la base. La solution que nous avons adoptee est celle de la celebre expression "Traduttore, traditore" (Traduction, trahison), a savoir nous gardons l'idee du texte japonais, l'intention (ou du moins, ce que nous pensons etre l'intention) pour le transmettre sous une forme qui plaira au public cible. C'est vraiment le coeur du metier de localisateur, que trop de gens pensent n'etre qu'un changement culturel par ci ou la pour rendre les choses plus accessibles (comme remplacer des references de yaki-sobas par des spaghettis carbonara, par exemple). Evidemment, ce genre de "fantaisie" est a bannir dans le cas d'une vraie traduction, commes des romans d'auteur. On veut lire le romancier, pas le traducteur. Mais dans le cas de la localisation de jeu video, le texte d'origine ayant souvent une valeur strictement utilitaire, l'equipe francaise chez Pokemon reecrit souvent beaucoup de choses pour rendre l'experience, sinon attrayante, au moins plus supportable que du mot a mot ameliore. D'ou une utilisation tres decomplexee du double sens de notre part, par exemple.
:mrgreen:Attention a ne pas tomber dans l'exces inverse. L'un des plus celebres exemples, dans le domaine du jeu video, est Symphony of the Night, le dialogue d'ouverture de Dracula. Notamment, la phrase desormais celebre : "What is a man?! A miserable little pile of secrets! But enough talk... have at you!"
Cette phrase, du moins cette idee, n'est JAMAIS enoncee par Dracula en VO. Il dit "Il suffit. Ton trepas va te faire comprendre qui de nous a raison !"
Pour les japonisants, voici l'original (avec la sublime voix de Wakamoto. OUI !!!).
Et la version anglaise, qui "beneficie" d'un doublage inoubliable.
Rajouter de l'habillage dans le texte, nous le faisons tout le temps. Par exemple, j'ai legerement rearrange les dialogues de Ghetis pour qu'ils collent avec un ton de preche (j'ai tout ecrit avec Goenitz et l'empereur de Code Geass en tete). Mais les idees presentees sont strictement celles du japonais. Changer le contenu du dialogue parce que je ne le trouve pas assez classe (ce qu'a du faire le guignol sur Castlevania), hors de question. La, c'est de la trahison manifeste.
Le sexisme est terriblement present, et etonne les Japonais quand on le leur signale. Jamais une femme n'est censee travailler. Ou alors, son metier est subalterne. Par exemple, en VO, on a docteur et infirmiere. En francais (et dans toutes les langues occidentales, je crois), nous avons infirmier et infirmiere (doctoresse etait trop long). A l'inverse, le Japon n'a aucune souci a mettre des personnages homosexuels ou a la frontiere des genres. Aux USA, ca ne passe pas. En France, nous avons explique que ce n'etait pas un probleme, meme si nous attenuons pas mal les choses etant donne l'age cible. Car des gays (ou des lesbiennes) dans le jeu video, oui pour les nippons, mais a condition que ce soient des folles tordues ! Nous avons dit banco pour un personnage (ouvertement ecrit sur la base de Zaza Napoli), non pour d'autres, ou alors, les choses ont ete remaniees et rendues plus subtiles. Notamment dans le jeu a sortir. Hu hu hu.
Autre probleme selon le public : celui de la religion. Le Japon est completement decomplexe par rapport a cela. Les Americains, vous imaginez bien que eux, ils ne rigolent pas avec ca. Pour la France, nous avons decrete la fin de la chasse aux sorcieres. Un autel, c'est un autel, un temple, c'est un temple, et ce ne sont pas des injures lancees au visage de Jesus-Christ comme nos voisins d'outre-Atlantique semblent le penser. Mais je crois que j'ai deja aborde le sujet ailleurs, a propos de la traduction de Ranger 3.
Pour ce qui est presentable aux enfants, tout tourne autour de la certification Pegi, je me reserve cela pour plus tard.
Et un article pas ininteressant d'un type qui bosse dans le domaine de la localisation.
http://howtojaponese.com/2010/01/25/on-translation-and-me/