Re : Potes 'n' Profs - Toi aussi, monte au clash avec le corps professoral!
Reply #11 –
L'option latin est élitiste. C'est indéniable.
On retrouve surtout des enfants de CSP +, c'est indéniable.
Sauf qu'on retrouve une minorité non négligeable de CSP - dans l'absolu.
Surtout, dans le détail, on se rend compte que les options décriées par le ministère (latin et bilangue) sont/étaient des moteurs pour les établissements REP et REP+ (anciens ZEP). Elles permettaient de limiter la fuite réelle des CSP+ et de promouvoir les enfants issus des CSP - en réussite.
Les futurs EPI n'ont pas du tout la même logique.
Je ne sais pas par où commencer, j'ai tellement de choses à dire sur ce que je vois tous les jours mais surtout sur le Ministère et la volonté politique de Pimprenelle, les actions mises en place que j'en aurais pour des jours à écrire des situations qui vous feraient halluciner.
Ce qui m'a fait bondir ces vacances sont les stages de formation sur la Réforme du collège. Je lis dans la presse que des "enseignants volontaires" se sont réunis pendant les vacances pour préparer la "Réforme sur les EPI notamment" et "former ensuite les collègues dans leurs établissements sachant qu'il y aura en moyenne 2 à 3 enseignants formés".
- Ces stages, comme la Réforme, sont passés par la voie hiérarchique. En d'autres termes, le Ministère ne s'adresse jamais à nous ni directement, ni par le Rectorat, mais par les chefs d'établissements. Bon, vous allez me dire, pourquoi pas. Sauf que la plupart du temps -jamais entendu de son de cloche contraire en fait-, l'information s'arrête là. Ou pas tout à fait.
- Les enseignants volontaires sont désignés. La nuance est de taille. Par exemple, ont été désignés chez nous le référent numérique/professeur de Sciences Physiques et deux autres enseignants dont j'ai appris les noms... Parce qu'au détour d'une conversation, l'un d'eux en a parlé. Voilà comment ça se passe chez nous. Les vrais volontaires ? Ici, en Limousin, y'en a pas ou quasiment pas. Il faut savoir que le MEN a utilisé le "volontariat" de ces 2.000 profs comme preuve d'adhésion du corps professoral. Saut que ce n'est pas le cas. Du moins, en grande majorité, les enseignants sont au minimum sceptiques, au maximum, comme moi, viscéralement opposés.
- Bon, ces 2-3 enseignants formés et hop, c'est gagné ? Je suis dans un établissement plutôt petit. Nous sommes 33 enseignants. Quand bien même nous serions résignés, 9% formé, cela suffit, c'est une blague ?
Alors pourquoi cette réforme est une catastrophe ?
Tout simplement parce qu'elle ne répond pas à la réalité de l'Ecole. Elle est hors sujet. Et elle est hors sujet parce qu'elle a un objectif caché : la réduction des dépenses sous un faux verni éducatif.
La réalité de l'école, c'est que les établissements :
- sont souvent mal équipés où le neuf est déjà obsolète depuis 5 ans. Nos vidéoprojecteurs neufs n'ont pas de sortie HDMI. Une partie non négligeable du parc informatique fonctionne sous XP avec un antivirus qui bloque la machine. Pourtant, on nous demande toujours plus en école numérique. Je ne parle même pas de la censure rectorale qui fait passer la Chine pour un pays de libertés.
- sont rarement adaptés pour organiser de vraies réunions : pas de salle de conférence mais des salles de classe un peu plus grandes.
- ne sont pas du tout adaptés pour permettre aux enseignants de rester dans l'établissement. La salle des professeurs n'est pas censée être une salle de travail. Les salles de classes non plus. Si ces dernières ne servent pas aux cours ou aux réunions improvisées.
- Et c'est bien le pire : les élèves n'y sont pas bien. Seule la cour, le préau et les toilettes sont leurs lieux. Les lieux de conforts, de sociabilité sont réduits à des peaux de chagrins. Les équipements sportifs ne sont pas entretenus ou remplacés. Si des foyers ont été mises en place, ils sont souvent trop limités et ne permettent qu'à une infime minorité d'en profiter. S'il y a bien une seule chose qui serait à copier aux scandinaves, c'est de faire, avant tout le pédagogique, de l'école un lieu agréable au moins pour les gosses.
Pourtant, vous lirez que la connasse qui nous sert de directrice de la direction de l'enseignement scolaire prétend que, comme tout fonctionnaire, un enseignant est tenu de faire 1607 heures dans l'établissement. C'est évidemment faux car nous sommes sous statut dérogatoire. M'enfin, moi ces 1607 heures, je veux bien les faire ! Tout le monde serait ok de faire de 9-17 tous les jours si cela signifie ne pas apporter de travail -ou très peu-. Je signe tout de suite. Sauf que je l'ai dit plus haut, où nous mettre ? On a pas de bureau, même par discipline. Et ne parlons pas des "labos" qui sont souvent de ridicules couloirs entre deux pièces où on entrepose du matériel.
Et qui des EPI ? Selon le ministère, les matières ne communiquent jamais entre elles. C'est vrai que jusqu'alors, en 6e, les professeurs d'histoire et de français ne travaillent pas sur les mythes et les légendes. C'est vrai qu'en 5e, les professeurs de géographie et de SVT ne parlent pas de développement durable, qu'en 4e, on n'évoque pas la société du XIXe en histoire et en Français. C'est vrai qu'en 3e, les professeurs de Français, d'histoire, de musique et d'Arts plastiques n'étudient pas la guerre et l'Art face aux évènements du XXe.
Mais non, en fait, depuis 30 ans, faut croire que les profs font de la merde et mieux encore, le Conseil Supérieur des Programmes proposent également des programmes bidons, non réfléchis et jamais liés entre eux.
Alors voilà, on va faire de "l'EPI" soient des enseignements pratiques et interdisciplinaires. Le mode d'emploi est intéressant : deux ou trois enseignants, ensemble, font un EPI pendant un semestre ou deux EPI toute l'année. Le volume horaire est de 3h par semaine. Ce volume est non pas ajouté mais prélevé. Par exemple, si je me mue animateur EPI, je me retrouve obliger de consacrer un certain temps à un projet d'EPI avec mes collègues.
Dans les faits, je peux faire de l'histoire, de la géo, probablement aussi de l'EMC (ex Education civique) tant que ça rentre dans le cadre de l'EPI mais considérant les thèmes généraux des EPI, ça va pas toujours être facile. Surtout, il sera probable que je devrais sortir du programme ou alors me faire VRAIMENT chier à trouver un sujet à traiter avec tout ce qui faut derrière, notamment des documents/sources.
Dans les faits, va falloir créer des emplois du temps permettant de rendre réaliste ces EPI. Et là, j'ai l'impression que les fiflos de Najat n'ont pas prévu qu'en temps normal, coïncider les emplois du temps de classes, d'élèves et de profs, c'est une véritable compétence professionnelle.
Dans les faits, il va falloir imaginer les salles de classes où le travail en groupe est possible. Les ilots ? Ca ne marche pas partout et pas pour toutes les matières. D'ailleurs, ça ne marche pas souvent malgré ce que disent nos moralisateurs de pédagogues et notre chère Florence Robine.
Dans les faits, il va falloir aussi se réunir entre nous. Quand ? Où ? Comment ? Ca, c'est du travail supplémentaire. Comme les EPI. Et ce ne sera pas payé. Et pourquoi devrions nous nous plaindre ? Je gagne 1709€ par mois avec mon traitement indiciaire et ma prime fixe. L'année prochaine, je gagnerai 60€ de plus mais parce que je prendrai un échelon. M'enfin, je n'ai pas à me plaindre, après tout, avec 16 supposées semaines de vacances où je passe mon temps à faire le jardin ou aller aux Canaries, faut vraiment être prof pour parler salaire !
J'ai eu quelques retours de ces formations : en fait, ce ne sont pas des formations mais des brainstorming géants où enseignants et autres acteurs de l'éducation réfléchissent à quoi faire en EPI. Le ministère ne le sait même pas !
M'enfin, que les choses soient claires :
- Je ne suis pas contre faire de l'interdisciplinaire. Sauf que c'est aux dépends de ce à quoi j'ai été formé. Je suis professeur d'histoire-géographie, on m'ajoute l'enseignement civique et morale. Je trouve déjà que je suis dans la plurivalence. Je n'ai que 2h30 (6e 5e 4e) et 3h (3e) pour faire de l'histoire/geo. Et une demie heure pour l'EMC. Je ne trouve pas ça, déjà, énorme. C'était une heure de plus dans les années 90 mais bon... Et là, on va retrancher, de manière autoritaire (on parle du conseil pédagogique mais mon cul, ce sera un acte d'autorité du chef ou au prix de luttes entre collègues à celui qui ne se sacrifiera pas) une parte de ma discipline pour des raisons qui ne sont même pas réellement définies avec une organisation qui est à des années lumières de la réalité. En plus de ça, on m'impose pour la rentrée prochaine de préparer tous les nouveaux programmes. Si en H/G on a une chance d'avoir une programmation annuelle, dans les autres matières, tout est en fiche action. Démerdez vous tant que tout est prêt pour septembre 2016 ! Jamais dans l'histoire du secondaire on a imposé le changement brutal de tous les programmes la même année. Ne serait-ce par décence vis à vis des enseignants qui peuvent avoir potentiellement les 4 années en collège. C'est ce genre de décision, purement de gestion, qui prouve que ce ministère nous méprise.
- A mon sens, le premier problème de l'école, c'est que c'est le marqueur de notre société. Il y a 50% de chômeurs en plus, il y a donc 50% d'enfants qui ont plus de "chance" d'être en difficulté scolaire. La société prône l'individualisme, la réussite par la superficialité ? Les enfants suivent ces modèles. L'école ne corrige pas les inégalités. Elle ne peut pas faire ça si la société ne veut pas les corriger. Si vous préférez, pour moi, c'est idiot de réformer tout ce qui est pédagogique ou remettre en cause l'enseignement disciplinaire si on ne comprend pas que dans un premier point, le problème est en DEHORS de l'école.
- Le second problème est son enjeu politique. Tous les gouvernements parlent de l'éducation comme une priorité. Or depuis Jospin, le résultat des politiques éducatives passe par une réussite aux examens nationaux toujours meilleure. Seulement, en décalage avec les enseignements, les évolutions sociétales, la conjoncture économique, le ministère a dénaturé toutes les évaluations nationales, les rendant inadaptés pour tous : élèves, professeurs, parents et même société civile. Cela s'est traduit par des mesures ou des objectifs stupides. Il existe, depuis peu, un contrat d'objectif qui lie établissement et rectorat. Sauf que chez nous, ce n'est pas un vrai contrat mais une charte car il n'engage qu'une des deux parties. Une vraie stupidité en somme. Et dans ces stupidités, on nous oblige à nous prononcer sur le taux de redoublement à ne pas dépasser et pire encore, sur le pourcentage d'élèves à faire passer dans une section (de collège à lycée, seconde G par exemple). C'est sidérant. Sidérant car cela a un effet dévastateur sur les autres voies du lycée et pour bien d'autres raisons. Il faut savoir que l'Inspecteur d'Académie de Haute-Vienne nous a conseillé/exhorté par la voie hiérarchique à faire passer 80% de nos gamins en seconde G. Ce sont ces genres d'enjeux qui tuent l'école.
Moins de chômeurs ? Vous verrez moins d'enfants en souffrance.
Moins de pression politique ? L'école sera plus juste et surtout n'enverra pas ses enfants à la boucherie pour le plaisir des statistiques.
Ne croyez pas que je me dédouane de tout et que je nous estime irréprochable. J'ai des progrès à faire et croyez moi, il ne se passe pas une année où je me rends compte que j'ai à m'améliorer sur du technique, du relationnel, de l'administration, de la gestion... Et je sais qu'il existe des collègues beaucoup moins concernés. Comme je disais, je pense que l'interdisciplinarité est une chose à faire. Mais dans ces conditions ?
Un autre exemple : dans le second établissement où je sévis, le chef d'établissement prévoit de prélever 30 minutes à l'histoire/géo en 6e pour faire de l'accompagnement personnalisé. L'accompagnement personnalisé est un moment de classe entière où le professeur doit apporter une réponse à des situations individuelles. Concrètement, j'ai 29 gamins : 5 excellents, 7 qui ont du mal à lire, 5 qui écrivent comme des pieds, 5 qui considèrent qu'une consigne est un fardeau et 7 qui ne savent rien faire. Bah je dois faire, une heure toutes les deux semaines, dans la même salle, 5 ateliers différents, de préférence en liaison avec ma matière.
Et bien sûr, ce nouveau travail est bien entendu aux frais de la princesse. Si vous avez déjà été en position d'enseigner, vous imaginez bien ce que j'en pense.
Bon, voilà, j'ai fait une logorrhée et j'en ai vraiment encore beaucoup à dire : sur les programmes, notamment en primaire ; sur l'apprentissage des langues et des vraies raisons de la suppression de la bilangue, sur des petits détails du décret de la réforme qui montrent que l'élitisme n'est pas forcément un problème s'il est territorial, sur la politique de communication du ministère, sur le fait que sisi, quand on fait grève, on perd bien une journée de travail et plus les heures supp' même si on les fait pas ce jour là... Et j'en passe. Beaucoup...