Je viens de suivre une conférence sur la réforme territoriale et les métropoles, suite à la loi promulguée en début d'année.
Beaucoup de monde glose sur le "mille-feuille" administratif français… Mais en fait, le passage au lance-flamme est déjà largement en cours, avec la création des métropoles. Les métropoles ont été créées par la loi de 2010. Il n'y en a actuellement qu'une seule: Nice. Au 1
er janvier 2015, il devrait y en avoir 3 de plus: Paris, Lyon, et Marseille-Aix. À court terme, toutes les communautés urbaines existantes, dès lors qu'elles ont plus de 450000 habitants devraient être transformées automatiquement en métropole (Lille, Toulouse, Bordeaux, Strasbourg…). Ces métropoles auront des compétences très larges. Celle de Lyon, qui est un objet tout à fait particulier, et dont nombre de personne s'accordent à penser que c'est un prototype, récupérera les compétences du département dans son périmètre, ainsi que certaines compétences des communes et de la région.
Bref, la métropole lyonnaise va donner aux élus locaux lyonnais un pouvoir très important, constituant une sorte de baronnie, dont le président concentrera des pouvoirs très étendus. Le département du Rhône, amputé de tout ce territoire sera le 50
e département français en terme de population (C'est actuellement le 4
e). Il conservera (au moins temporairement) quelques secteurs périurbains de l'agglomération lyonnaise, mais couvrira surtout les parties défavorisées et les plus pauvres du département actuel, ceci avec des moyens très fortement réduits. (Pour mémoire, les missions des départements sont pour une grosse part la solidarité: RMI, RSA, aide personnalisée aux personnes âgées (APA), protection maternelle et infantile (PMI), mais aussi les transports routiers, les collèges)
Cette évolution en cours, avec un désengagement de plus en plus affirmé de l'État, pose la question des solidarités entre territoires qui était la base de fonctionnement il n'y a pas si longtemps: Les grosses agglomérations assuraient par le biais de la solidarité nationale l'aménagement des secteurs ruraux. Désormais on est dans une logique de compétitivité de tous entre tous: Les métropoles entre elles, les métropoles contre les pôles d'équilibre territoriaux et ruraux (sensés être le pendant rural des métropoles), les pôles d'équilibre territoriaux et ruraux entre eux.
À côté de ça, cette loi comporte des leviers forts pour imposer des mutualisations entre les différentes collectivités.
Bref, il est actuellement difficile de faire un point sur les rééquilibrages qui vont se faire, mais d'ors et déjà, les communes et les départements peuvent être identifiées comme des collectivités en sursis. La constitution des métropoles et de l'élargissement probable de leurs pouvoirs vient aussi interroger sur l'avenir réel des région, fussent-elles agrandies… Seront-elles à terme cantonnées à la gestion d'un espace interstitiel rural entre les métropoles? Quels moyens auront réellement les pôles d'équilibre territoriaux et ruraux? Comment pourront évoluer les métropoles si leur hinterland rural ou semi-rural ne bénéficie pas d'une redistribution des richesses des pôles urbains? Quelle présence des services publics en dehors des métropoles?
Cette réorganisation se double d'un discours sur la nécessité de spécialiser les métropoles sur l'innovation dans des domaines bien spécifiques ("de pointe"). Les activités traditionnelles ou "anciennes" (chimie, métallurgie, etc) sont oubliées (sacrifiées?). Les politiques semblent avoir une vision du territoire qui se résume à:
- L'innovation high-tech dans les métropoles, avec une production industrielle délocalisée dans des pays à bas coût de main-d'œuvre
- Le tourisme et l'économie résidentielle (comprendre les aides à domicile, les emplois de service et commerce)pour le reste du territoire
Ce discours nie toute les activités industrielles pouvant exister y compris dans les zones rurales les plus reculées. Il interroge aussi sur le réalisme de ceux qui le tiennent. Comment peut-on imaginer qu'un pays organisé de la sorte puisse continuer à fonctionner? Sans production industrielle à exporter comment l'innovation des métropoles et l'économie résidentielle des territoires ruraux seront financées?
En parallèle, des fusions sont menées selon les mêmes logiques territoriales dans les domaines universitaires (regroupement de toutes les universités d'une ville) et hospitaliers (concentration des hôpitaux), avec là aussi des désignations de "pôles d'excellence" peu nombreux, qui vont concentrer l'essentiel des financements, et donc à moyen terme la question de la survie des pôles "secondaires".
Tout ceci sans même parler des aspects démocratiques des structure qui sont en train de se construire…